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LES QUATRAINS DE KHÈYAM.


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Une gorgée de vin vaut mieux que le royaume de Kavous[1] ; elle ; est préférable au trône de Kobad[2], à l’empire de Thous[3]. Les soupirs auxquels le matin un amoureux est en proie sont préférables aux gémissements des dévots hypocrites.


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Bien que le péché m’ait rendu laid et malheureux, je ne suis cependant pas sans espoir, semblable en cela aux idolâtres, qui se reposent sur les dieux de leurs temples. Toutefois, le matin où je mourrai de mon ivresse de la veille, je demanderai du vin, j’appellerai ma maîtresse, car, que m’importent et le paradis et l’enfer[4] ?

  1. Kavous ou Key-Kavous, deuxième roi de la dynastie des Keyans ou Keyaniens. Il était fils et successeur de Key-Kobad. C’est pendant le règne des souverains de cette dynastie qu’eurent lieu ces guerres impitoyables entre les Iraniens (les Perses) et les Touraniens (Turcs du Turkestan), commencées sous le règne de Noouzer, qui se prolongèrent, nous dit l’auteur du Zinet-el-Tévarihh, jusqu’à Alexandre le Grand, et dans lesquelles le fameux Rustèm, cet Hercule des Persans, joue un si grand rôle.
  2. Kobad ou Key-Kobad, premier roi de la dynastie des Keyans. Les historiens persans rapportent que ce prince vivait retiré dans les montagnes de l’Elbourz, près du mont Dèmavend, lorsque Noouzer, dixième roi de la dynastie des souverains de Perse, dite Pich-Dadians, c’est-à-dire les premiers distributeurs de la justice, fut tué par Afrasiab, roi du Touran (Turkestan), et que ce prince s’empara de la Perse. Les grands de cet empire, désespérés d’avoir à leur tête un roi incapable, Guerchasp, se réunirent pour délibérer sur l’élection d’un chef en état de chasser Afrasiab du sol persan. Ils furent unanimes sur le choix de Kobad. Zal, père du célèbre Rustèm, fut chargé d’aller inviter ce prince, au nom de la nation, à venir remplacer le trop faible Guerchasp sur le trône des Pich-Dadians. Zal n’eut pas de peine à réussir dans sa mission. Kobad accepta l’offre qu’on lui faisait et vint prendre possession de l’empire au milieu d’uue acclamation générale. Les historiens persans disent que Zal fut extrêmement fier de voir que le succès de sa mission avait produit une satisfaction si universelle. Ferdooussi met, en racontant cette circonstance dans son Chah-namèk (Livre des Rois), ces vers dans la bouche du vieillard, transporté de joie : [Texte en persan] « C’est moi qui du mont Albourz ai amené Kobad l’élu au milieu de nous. » Kobad fut, d’après les principaux historiens d’Orient, un roi équitable et courageux. Il battit Afrasiab et l’obligea de rentrer dans les limites de ses Etats. Ferdooussi parle en ces termes de la justice de ce souverain : [Texte en persan] « Kobad vint et, posant la couronne sur sa tête, sa justice se répandit d’un bout de l’univers à l’autre. »
  3. Prince de la dynastie des Pich-Dadians, fils de Noouzer, oncle de Key-Kavous, lequel était roi de la dynastie des Keyans.
  4. Allusion maligne à l’endroit des moullahs, qui considèrent les soufis comme ayant perdu toute chance d’entrer en paradis, puisque, n’admettant pas le caractère sacré des préceptes du Koran, le prophète Mohammed n’intercédera pas en leur faveur auprès de la Divinité ! Khèyam essaye, en outre, de leur faire observer que chaque secte se repose sur quelque chose. Les musulmans se reposent sur l’intercession de Mohammed, les chrétiens sur la médiation de Jésus-Christ, les juifs sur celle de Moïse, les idolâtres sur les dieux de leurs temples, et Khèyam, lui, se repose sur la miséricorde illimitée et immuable de la Divinité, et, selon lui, il ne doit pas avoir moins de confiance que les autres.