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LES QUATRAINS DE KHÈYAM.


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Ô roue du destin[1] ! la destruction vient de ta haine implacable. La tyrannie est pour toi un acte de prédilection que tu commets depuis le commencement des siècles, et toi aussi, ô terre, si l’on venait à fouiller dans ton sein, que de trésors inappréciables n’y trouverait-on pas[2] !


22

Mon tour d’existence s’est écoulé en quelques jours. Il est passé comme passe le vent du désert. Aussi, tant qu’il me restera un souffle de vie, il y a deux jours dont je ne m’inquiéterai jamais, c’est le jour qui n’est pas venu et celui qui est passé.


23

Ce rubis précieux vient d’une mine à part, cette perle unique est empreinte d’un sceau à part[3] ; nos différentes conclusions sur cette matière sont erronées, car l’énigme du véritable amour[4] s’explique dans un langage à part (et qui n’est pas à notre portée).


24

Puisque c’est aujourd’hui mon tour de jeunesse, j’entends le passer à boire du vin, car tel est mon bon plaisir. N’allez pas, à cause de son amertume, médire de ce délicieux jus, car il est agréable, et il n’est amer que parce qu’il est ma vie[5].

  1. Le ciel, qui tourne autour de la terre, et où sont écrits les décrets inévitables de notre destinée.
  2. Le poète entend par trésors inappréciables les hommes célèbres, les sages, les
    belles et aimantes créatures en un mot, que la roue des cieux (image du destin implacable) a précipités dans le gouffre de la mort et que la terre a engloutis dans son sein.
  3. Figure allégorique faisant allusion à la Divinité parfaite que nous cherchons en vain dans notre imperfection.
  4. Amour divin, dont la source est en dehors de notre nature terrestre.
  5. Singulière tournure de phrase qu’emploie là le poëte pour se plaindre de l’amertume de sa vie, l’assimilant au vin auquel elle prête son âpreté. Âpre et amer, en persan, sont synonymes.