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LES QUATRAINS DE KHÈYAM.


435

Avant que lu sois enivrée par la coupe de la mort, avant que les révolutions du temps t’aient refoulée en arrière, tâche de te constituer un fonds ici, car là-bas, point de profit pour toi, si tu y vas les mains vides[1].


436

C’est toi qui disposes du sort des vivants et des morts ; c’est toi qui gouvernes cette roue désordonnée des cieux. Bien que je sois mauvais, je ne suis que ton esclave, tu es mon maître ; quel est donc le coupable ici-bas ? N’es-tu pas le créateur de tout ?


437

Ô mon roi[2] ! comment un homme comme moi, se trouvant, dans la saison des roses, au milieu d’une joyeuse société, entouré de vin, de danseurs, comment pourrait-il demeurer spectateur passif ? Oh ! se trouver dans un jardin avec un flacon de vin et une flûte sont des choses préférables au paradis avec ses houris et son Kooucer[3] !


438

Vois la clarté de la lumière, l’éclat du vin, celui de la lune, ô échanson ! Vois la ravissante beauté au visage rose comme le rubis balai, ô échanson ! Ne rappelle rien de ce qui vient de la terre à ce cœur qui brûle comme le feu, ne le jette pas au vent, apporte du liquide, ô échanson[4] !

  1. Ce quatrain, faisant allusion à la puérilité de la doctrine des récompenses et des peines futures, prend à partie les moullahs, auxquels Khèyam conseille vertement de ne point aller les mains vides dans l’autre monde, devant laisser dans celui-ci les richesses qu’ils y ont amassées. Partir pour l’autre monde bien approvisionné, c’est, se lon notre poète, s’y rendre après avoir goûté sur la terre les délices qu’à l’exemple des soufis l’homme intelligent sait s’y procurer.
  2. « [Texte en persan], ô mon roi ! est une expression de tendresse comme ô mon cœur, ô mon âme ! etc.
  3. Voyez pour ce mot note 1, quatrain 102.
  4. Quatrain essentiellement mystique. La ravissante beauté au visage coloré du teint rose du rubis balai, c’est la Divinité. Le poêle prie l’échanson de ne point réveiller dans son cœur, qui brûle de l’amour divin, les agitations de ce monde de néant. Les deux derniers hémistiches ont une originalité qu’ils doivent uniquement au génie de la langue persane. Khèyam a su y réunir les quatre éléments : terre, feu, vent (air) et liquide (eau), ce qui est extrêmement apprécié par les Orientaux. Le cœur du poëte est en feu, il demande du liquide (de l’eau) pour l’éteindre, il prie l’échanson de ne point le jeter au vent , c’est-à-dire de ne point attiser le feu , dans lequel il se consume, par des souvenirs terrestres, qui sont à la douleur ce que le vent est aux flammes.