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PRÉFACE

« aurait pu aussi bien l’enfoncer dans ton cœur[1]. » On dit que le sultan fut tellement atterré à la lecture de ce billet, qui lui révélait l’immense pouvoir de Hassan-Sèbbah sur l’esprit de ses affidés, qu’il renonça pour cette fois à ses projets d’attaque[2].

Mais revenons à Khèyam, qui, resté étranger à toutes ces alternatives de guerres, d’intrigues et de révoltes dont cette époque fut si remplie, vivait tranquille dans son village natal, se livrant avec passion à l’étude de la philosophie des soufis. Entouré de nombreux amis, il cherchait avec eux dans le vin cette contemplation extatique que d’autres croient trouver dans des cris et des hurlements poussés jusqu’à extinction de voix, comme les derviches hurleurs ; d’autres dans des mouvements circulaires qu’ils pratiquent avec frénésie jusqu’à ce qu’ils soient entièrement pris de vertige, comme les derviches tourneurs ; d’autres enfin, dans des tortures atroces qu’ils s’infligent eux-mêmes jusqu’à en perdre connaissance, comme les Hindous. Les chroniqueurs persans racontent que Khèyam

  1. Les sectateurs de Hassan-Sèbbah étaient désignés sous la dénomination de Hassanis (adhérents de Hassan) ou Fédévis, mot qui signifie : des hommes prêts à sacrifier leur propre vie sur un simple commandement de leur chef spirituel. Les historiens affirment que, lorsqu’un envoyé de Malek-chah vint à Alamout pour traiter avec Hassan-Sèbbah, celui-ci, pour toute réponse, commanda, en présence de cet envoyé, à un de ses fidèles de se poignarder lui-même, et à un autre de se jeter du haut d’un rocher. Les deux ordres furent exécutés sur-le-champ. « Allez, dit-il à l’envoyé stupéfait, et faites savoir à votre maître quel est le caractère des gens qui me servent. »
  2. Les docteurs de l’islamisme qui ont décrit les ravages commis par cette secte, qu’ils ont en grande horreur, disent que leurs vexations, s’étendant sur toute la surface du sol persan, avaient porté l’épouvante dans tous les cœurs. « C’était, disent-ils, un véritable fléau pour les populations, un objet de terreur pour les souverains les plus puissants, et ce fléau et cette terreur, ajoutent-ils, durèrent pendant une période d’environ deux siècles. »