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LES QUATRAINS DE KHÈYAM.


380

Tu as imprimé à notre être (ô Dieu !) une bien singulière fantasmagorie (d’inconséquences) et tu en fais surgir de bien étranges phénomènes. Je ne puis, moi, être meilleur que je ne suis, car tu m’as retiré tel quel du creuset (de la création).


381

Nous avons violé tous les vœux que nous avions formés ; nous avons fermé sur nous la porte de la bonne et celle de la mauvaise renommée[1]. Ne me blâmez point si vous me voyez commettre des actes d’insensé, (car, vous le voyez,) nous sommes ivres du vin de l’amour, ivres tous tant que nous sommes.


382

Une gorgée de vin vieux vaut mieux qu’un nouvel empire. Ce qu’il y a de mieux à faire c’est de rejeter tout ce qui n’est pas vin. Une coupe de ce nectar est cent fois préférable au royaume de Féridoun[2]. La brique qui couvre la jarre[3] est plus précieuse que le diadème de Kéy-Khosrov[4].

  1. C’est-à-dire : « Nous sommes aussi indifférents à la bonne renommée qu’à la mauvaise, l’une et l’autre ne pouvant avoir d’importance qu’aux yeux des hommes, jamais aux yeux de Dieu. »
  2. Féridoun, septième roi de la seconde dynastie, dite pichdadienne. Il fut porté sur le trône par le courage et le dévouement d’un simple forgeron d’Ispahan, nommé Gavèli. Résolu de délivrer son pays de la tyrannie de Zohak le Cruel, Gavèh attacha son tablier de peau au bout d’une lance et, brandissant ce drapeau improvisé au-dessus de sa têle, il appela ses compatriotes opprimés à leur propre délivrance. Bientôt, il se vit à même de marcher à leur têle contre le tyran, qu’il battit et fit prisonnier. Féridoun, devenu roi de Perse, n’eut rien de plus pressé que de récompenser dignement le héros et de faire orner son tablier de pierres précieuses, en mémoire de la victoire signalée remportée sur Zohak. Ce drapeau, connu dans l’histoire sous la dénomination de [Texte en persan], étendard de Gavèh, fut considérablement enrichi par tous les souverains qui se succédèrent après Féridoun et demeura l’étendard national et toujours victorieux, jusqu’au moment de l’invasion de la Perse par les Arabes sous le califat d’Omar, deuxième calife. Les généraux arabes défirent les Persans en bataille rangée, et s’emparèrent du fameux étendard, qui leur fournit un butin considérable. Féridoun, en plein succès de ses exploits, partagea ses vastes États entre ses trois fils et consacra le reste de ses jours à la contemplation divine. Les Persans le considèrent non-seulement comme un grand roi, mais encore comme le modèle que doivent se proposer tous les souverains de la terre. La plupart des poètes persans ont chanté sa valeur guerrière, sa justice et sa libéralité. Voici dans quels termes Sè’èdi s’exprime, en parlant des hautes qualités de ce prince :

    [Texte en persan]

    « Féridoun le fortuné n’était pas un ange ; il n’était pas composé de musc et d’ambre ; c’est par sa justice et sa libéralité qu’il a acquis cette grande renommée ; pratique la justice et la libéralité, et tu seras un Féridoun. »

  3. L’usage des tonneaux étant inconnu en Perse, les Persans conservent leur vin dans des jarres en terre cuite au four, qu’ils recouvrent d’une brique circulaire également en terre cuite.
  4. Kéy-Khosrov, troisième roi de la dynastie des Khéyans, fils de Siavouch, lequel fut mis à mort par ordre d’Afrasiab, roi du Touran (Turkestan), dont il avait épousé la fille, Franges ou Frangues. Revenu dans sa patrie de l’exil où l’avait relégué cet ennemi mortel de l’Iran, Kéy-Khosrov monta sur le trône de Perse, que lui céda son grand-père Kéy-Kavous.

    Le meurtre de Siavouch fut l’origine de ces guerres acharnées et sanglantes que se livrèrent si fréquemment les Touraniens (les Turcs) et les Iraniens (les Persans), guerres momentanément suspendues par la défaite complète d’Afrasiab, dont Kéy-Khosrov put enfin s’emparer et qu’il fit mourir de la même mort que celui-ci avait fait subir à son père. Après cette terrible vengeance, Kéy-Khosrov céda le trône à Lohrasp, son fils adoptif, et consacra le reste de ses jours à la solitude religieuse. La tradition, qui élève ce prince au rang des prophètes, dit qu’il disparut du lieu de sa retraite et qu’il n’est pas mort, mais seulement caché.