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LES QUATRAINS DE KHÈYAM.


376

Ne t’inquiète pas des vicissitudes de ce monde d’inconstance ; demande du vin et rapproche-toi de ta caressante maîtresse, car, vois-tu, celui que sa mère enfante aujourd’hui, demain disparaît de la terre, demain il rentre dans le néant[1].


377

Je puis renoncer à tout, au vin jamais ; car j’ai les moyens de me dédommager de tout, de la privation de vin jamais. (Ô Dieu !) se pourrait-il que je devinsse musulman et que je renonçasse au vin vieux ? Jamais.


378

Nous sommes tous amoureux, tous ivres, tous adorateurs du vin. Nous sommes tous réunis dans la taverne, ayant banni loin de nous tout ce qui est bien, tout ce qui est mal, tout ce qui est réflexion et rêverie. Oh ! ne nous demande donc pas de jugement, puisque nous sommes tous pris de vin[2].


379

C’est nous qui avons confiance en la bonté divine, qui nous soustrayons au sentiment de l’obéissance et du péché ; car où ta bienveillance existe (ô Dieu !), celui qui n’a rien fait est l’égal de celui qui a fait[3].

  1. Les orientalistes pourront lire dans le texte l’expression triviale dont se sert le poëte pour rendre l’idée que renferment les deux derniers hémistiches de ce quatrain, et que les convenances nous défendent de reproduire telle qu’elle est.
  2. [Texte en persan] signifie sens, raison, intelligence, jugement ; [Texte en persan], être sur ses gardes, être circonspect ; [Texte en persan], être privé de sens, de saine raison, être dans le vertige ; [Texte en persan], s’évanouir, tomber en syncope. Par ce quatrain, Khèyam détruit de nouveau les arguments que les moullahs soutiennent contre les soufis, en leur reprochant de faire usage du vin, lequel, selon eux, abrutit l’homme en le privant de tout raisonnement. « Puisque, dit le poëte, dans l’extase de notre amour, le seul véritable, et que tu prends pour de l’ivresse, nous sommes, selon toi, privés de jugement, alors pourquoi, ô ignorant prédicateur ! pourquoi nous en demandes-tu ? »
  3. Allusion à l’excellence de la doctrine des soulis, d’après laquelle Dieu, n’ayant rien à punir dans la matière, rien à récompenser en elle, puisque l’âme est réabsorbée dans l’essence divine, ceux qui la professent sont entièrement affranchis des appréhensions de l’enfer et de l’espérance du paradis. (Voyez note 3, quatrain 361, où, suivant Khèyam, le contraire résulte du Koran.)