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LES QUATRAINS DE KHÈYAM.


371

Nous voilà tous réunis au milieu des amoureux[1] ; nous voilà tous affranchis des peines qu’inflige le temps ; ayant vidé la coupe de son amour[2], nous voilà tous libres, tous tranquilles, tous pris de vin.


372

Suppose que tu aies vécu dans ce monde au gré de tes désirs ; eh bien ! après ? Figure-toi que la fin de tes jours est arrivée ; eh bien ! après ? J’admets que tu aies vécu durant cent ans entouré de tout ce que ton cœur a pu désirer, imagine à ton tour que tu aies cent autres années à vivre ; eh bien ! après ?


373

Sais-tu pourquoi le cyprès et le lis ont acquis la réputation de liberté dont ils jouissent parmi les hommes ? C’est que celui-ci, ayant dix langues, reste muet, et que celui-là, possédant cent mains, les tient raccourcies[3].


374

Ô échanson ! mets dans ma main de ce vin délicieux, de ce jus aux attraits d’une charmante idole, de ce nectar enfin qui, semblable à une chaîne dont les anneaux se tordent et se retordent sur eux-mêmes, tient et les fous et les sages dans une si douce captivité.


375

Ô regret que la vie se soit passée en pure perte ! que nos bouchées aient été illicites et nos corps souillés[4] ! J’ai la figure noire (ô Dieu !), de n’avoir pas fait ce que tu as ordonné. Que sera-ce donc d’avoir fait ce que tu n’as pas ordonné ?

  1. Ceux qui pratiquent l’amour divin.
  2. La coupe de l’amour de Dieu.
  3. Le cyprès est l’emblème de la liberté et le lis celui du silence. Khèyam compare les nombreuses branches du premier à autant de mains, qui, à l’inverse de celles des moullahs, ne s’allongent jamais pour s’approprier le bien d’autrui, et les pétales du second à autant de langues qui, restant muettes, ne sont pas, comme celles des antagonistes de notre poëte, sujettes à la médisance ou à la calomnie. Pour la signification de cette locution, allonger la main, voyez note 2, quatrain 301.
  4. [Texte en persan] signifie illicite, défendu par la loi. Le vin, le porc, les jeux de hasard, le tir des flèches, les richesses mal gagnées, les prières faites dans une maison illégitimement acquise ou dans la maison d’un chrétien, d’un juif, etc. sont illicites. Bien que Khèyam semble parler ici pour lui et ses pareils, c’est à ses adversaires qu’il reproche, non-seulement de ne point se conformer au texte du Koran, en négligeant les préceptes qu’il renferme, mais encore de se permettre des choses dont ce saint livre ne fait pas mention, prétendant ainsi perfectionner ce qui, selon eux, émane de la perfection même.