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LES QUATRAINS DE KHÈYAM.


366

Jusques à quand m’infligerai-je le souci de savoir si je possède ou si je ne possède pas ? si je dois ou si je ne dois pas passer gaiement la vie[1] ? Remplis toujours une coupe de vin, ô échanson ! car j’ignore si j’expirerai ou non ce souffle qu’actuellement j’aspire.


367

Ne deviens pas la proie du chagrin de ce monde d’iniquité ; ne rappelle pas à ton âme le souvenir de ceux qui ne sont plus ; ne livre ton cœur qu’à une amie aux douces lèvres et à stature de fée[2] ; ne sois jamais privé de vin, ne jette pas ta vie au vent.


368

Jusques à quand me parleras-tu de mosquée, de prière, déjeune ? Va plutôt à la taverne et enivre-toi, dusses-tu pour cela demander l’aumône. Ô Khèyam ! bois du vin, bois, car de cette terre dont tu es composé on fera tantôt des coupes, tantôt des bols, tantôt des cruches.


369

Voici pourquoi dans ce palais des êtres tu dois, ô sage ! te livrer à l’usage du vin couleur de rose, c’est qu’alors chaque atome de ta poussière que le vent emportera ira tomber, tout empreint de vin, au seuil de la taverne.


370

Regarde comme le zéphyr a fait épanouir les roses ! Regarde comme leur éclatante beauté réjouit le rossignol ! Va donc te reposer à l’ombre de ces fleurs, va, car bien souvent elles sont sorties de terre et bien souvent elles y sont rentrées.

  1. L’expression de passer gaiement la vie n’est évidemment qu’une figure. C’est s’affranchir des soucis de ce monde pour se livrer entièrement à la contemplation de la Divinité, en vidant la coupe de son amour, « Le vin, dit Khèyam, a ce double avantage de nous détacher complètement des choses mondaines, en détruisant en nous le chagrin, et de nous porter vers les choses célestes, c’est-à-dire vers la Divinité, à laquelle nous pouvons remonter d’un moment à l’autre. »
  2. Cette expression, une amie aux douces lèvres, à stature de fée, se rapporte à la Divinité. En invitant son interlocuteur à ne point jeter sa vie au vent, à ne point se priver de vin, le poëte veut le détacher des liens mondains, l’empêcher de perdre son temps en vains soupirs, afin qu’il puisse se livrer entièrement à la contemplation divine.