C’est nous qui achetons du vin vieux et du vin nouveau, et c’est nous qui vendons le monde pour deux grains d’orge[1]. Sais-tu où tu iras après la mort ? Apporte-moi du vin et va où tu voudras.
Quel est l’homme ici-bas qui n’a point commis de péché, dis ? Celui qui n’en aurait point commis, comment aurait-il vécu, dis ? Si, parce que je fais le mal, tu me punis par le mal, quelle est donc la différence qui existe entre toi et moi, dis ?
Oh ! où est donc celle dont les lèvres sont de rubis, où donc cette pierre précieuse de Bèdèkhchan[2] ? Où est ce vin plein de parfum qui donne le repos à l’âme ? On dit que la religion de l’islam le défend : bois, ami, et n’aie aucune crainte, car où vois-tu l’islam[3] ?
Ce qu’il y a de mieux, c’est de s’abstenir de tout ce qui n’est pas allégresse ; ce qu’il y a de mieux, c’est de recevoir la coupe de la main des belles que renferment les palais des princes ; ce qu’il y a de mieux encore, c’est l’ivresse, l’insouciance des Kélenders[4], l’oubli de soi-même. Une gorgée de vin, enfin, vaut mieux que tout ce qui existe dans l’espace entre la lune et le poisson[5].
- ↑ Vendre le monde pour deux grains d’orge, c’est n’en faire aucun cas.
- ↑ Province du Khoraçan, d’où viennent les rubis balais.
- ↑ Encore un trait frondeur à l’endroit des prédicateurs musulmans, quele poëte accuse de prêcher une doctrine à laquelle ils ne se conforment pas eux-mêmes.
- ↑ Voyez note 1, quatrain 312.
- ↑ Depuis la lune jusqu’au poisson, expression figurée, très-usitée en Perse. Elle signifie : dans l’univers entier, d’un pôle à l’autre. Le roi actuel a pour devise, sur son sceau, les mots suivants : « Du jour où la main de Nasser-el-dïn chah a saisi l’anneau de la royauté, le bruit de sa justice et de son équité a rempli l’espace depuis la lune jusqu’au poisson » (sur lequel repose le taureau qui supporte la terre). (Voyez quatrain 338.)