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LES QUATRAINS DE KHÈYAM.


222

J’aime mieux être avec toi dans la taverne, et te dire là mes secrètes pensées, que d’aller sans toi faire la prière au méhrab[1]. Oui, ô Créateur de tout ce qui fut et de tout ce qui est ! telle est ma foi, soit que tu me fasses brûler, soit que tu m’accordes tes faveurs.


223

Fréquente les hommes honnêtes et intelligents. Fuis à mille farsakhs loin des ignorants. Si un homme d’esprit te donne du poison, bois-le ; si un ignorant te présente un antidote, verse-le à terre.


224

Les nuages sont encore répandus sur les roses et semblent les couvrir d’un voile. L’envie de boire n’est pas encore assouvie dans mon cœur. Ne va donc pas te coucher, il n’en est pas temps encore. Ô mon âme ! bois du vin, bois, car le soleil est encore à l’horizon.


225

Semblable à un épervier, je me suis envolé du monde des mystères, espérant m’élever vers un monde plus haut ; mais, tombé icibas et n’y trouvant personne digne de partager mes secrètes pensées, je suis ressorti par la porte par laquelle j’étais entré[2].


226

Tu as mis en nous une passion irrésistible (ce qui équivaut à un ordre de toi), et d’un autre côté tu nous défends de nous y livrer. Les pauvres humains sont dans un embarras extrême entre cet ordre et cette défense, car c’est comme si tu ordonnais d’incliner la coupe et défendais d’en verser le contenu[3].

  1. Chaire musulmane.
  2. En persan on emploie presque toujours le passé pour le présent et le présent pour le futur : [Texte en persan], je lui ai pardonné, pour : je lui pardonne ; [Texte en persan], je lui pardonne, pour : je lui pardonnerai ; [Texte en persan], je le lui ai donné, pour : je le lui donne ; [Texte en persan], je le lui donne, pour : je le lui donnerai. Mais je ne sache pas qu’on ait jamais employé le passé pour le futur. Notre poète anticipe donc ici sur son départ de ce monde et parle comme s’il n’y était déjà plus.
  3. On le voit, Khèyam revient infatigable ment à ses épigrammes contre la doctrine des récompenses et des peines futures, thème éternel de ses railleries.