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LES QUATRAINS DE KHÈYAM.


218

Puisque chacune de tes nuits, puisque chacun de tes jours retranche une partie de ton existence, ne permets pas à ces nuits, à ces jours de te couvrir de poussière[1]. Passe-les gaiement, car, combien de temps, hélas ! tu seras absent, tandis que les nuits et les jours subsisteront encore !


219

Cette roue des cieux, qui ne dit ses secrets à personne, a tué impitoyablement mille Mahmouds[2], mille Ayaz[3] ; bois du vin, car elle ne restituera la vie à personne. Hélas ! nul de tous ceux qui ont quitté ce monde n’y reviendra plus !


220

Ô toi qui domines tous les grands de l’univers[4] ! sais-tu quels sont les jours où le vin réjouit l’âme ? Ce sont : le dimanche, le lundi, le mardi, le mercredi, le jeudi, le vendredi et le samedi, en plein jour.


221

Ô être adorable, plein de mignardises et d’espiègleries ! assieds-toi, apaise ainsi le feu de mille tourments et ne te relève plus[5]. Tu m’enjoins de ne point te regarder ; mais c’est comme si tu m’ordonnais d’incliner la coupe en me défendant d’en répandre le contenu.

  1. Être couvert de terre ou de poussière signifie : être plongé dans le chagrin, dans la désolation ; c’est être anéanti, c’est devenir la dupe de quelqu’un. Jeter de la terre sur quelqu’un, c’est lui occasionner des tracas en détruisant ses projets, c’est souhaiter son malheur, c’est désirer de le voir disparaître de ce monde. Jeter de la terre sur l’affaire de quelqu’un, c’est y mettre des entraves, c’est l’empêcher de réussir. Dire à quelqu’un : Va manger de la terre, va manger des cailloux, c’est lui dire : Puisses-tu mourir, va-t’en au diable ; que le diable t’emporte, etc.
  2. Mahmoud, fils de Sabuktaguin, premier sultan de la dynastie des Ghaznavites. (Voyez d’Herbelot, p. 544, pour l’histoire de ce prince.)
  3. Favori de Mahmoud Ghaznavi. Du rang de simple paysan, il parvint aux plus hautes dignités de l’empire.
  4. Ce quatrain ne peut être, évidemment, qu’à l’adresse de Mohammed , qui a défendu aux fidèles l’usage du vin, défense toutefois contestée par quelques commentateurs du Koran. Djelal-el-dïn, l’un d’eux, prétend que le Prophète n’en a proscrit que l’excès. (Voyez note 2, quatrain 246.)
  5. C’est-à-dire : étant debout, tu révèles trop de charmes. Ta taille élégante, ta démarche harmonieuse, ta tournure adorable, font naître dans mon cœur mille tourments. Prends une pose moins provoquante, assieds-toi, apaise ainsi mes supplices et ne te relève plus pour ne point les renouveler. C’est à la Divinité que notre poëte adresse de semblables tendresses. Les orientalistes pourront vérifier dans le texte le mot qui commence ce quatrain et que par convenance nous étions obligé de traduire par celui-ci : Ô être, etc.