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LES QUATRAINS DE KHÈYAM.


176

Restreins ton envie des choses de ce monde, si tu veux être heureux ; brise les liens qui t’enchaînent au bien et au mal d’ici-bas ; vis content, car ce mouvement périodique des cieux suivra sa marche, et cette vie ne sera pas de longue durée.


177

Personne n’a eu accès derrière le rideau du destin ; personne n’a eu connaissance des secrets de la Providence. Durant soixante et douze ans j’ai jour et nuit réfléchi ; je n’ai pourtant rien appris, et l’énigme est restée inexpliquée.


178

On dit qu’au jour dernier il y aura des pourparlers, et que cet ami chéri (Dieu) se mettra en colère[1]. Mais de la bonté même il ne peut émaner que le bien. Sois donc sans crainte, car à la fin tu le verras plein de douceur.


179

Bois du vin, car c’est lui qui mettra un terme aux inquiétudes de ton cœur ; il te délivrera de tes méditations sur les soixante et douze nations[2]. Ne t’abstiens pas de cette alchimie[3], car, si tu en bois un mèn[4] seulement, elle détruira en toi mille infirmités.

  1. Allusion au jour de la résurrection où la vengeance de la Divinité, dont il est si souvent fait mention dans le Koran (voyez ce livre, chapitre Les signes célestes, verset 12), éclatera d’une manière si terrible contre ceux qui n’auront pas embrassé l’islamisme.
  2. Les Persans, en général, entendent par cette expression : les soixante et douze nations, tous les peuples qui habitent le globe terrestre et qui sont tous divisés par des dogmes divers, croyant chacun en conscience posséder exclusivement la vérité. Tous ces peuples, disent les soufis, ont raison ou tous sont dans Terreur. Mais une erreur plus grande encore, ajoutent-ils, c’est de s’en préoccuper. Hafez, dans son Divan a dit dans ce même sens :

    [Texte en persan]

    « Considère les discussions des soixante et douze nations comme autant de prétextes, car, comme elles n’ont pas vu la vérité éternelle, elles n’ont fait que débiter des fables. »

  3. L’alchimie ou pierre pbilosophale préoccupe encore les Persans d’aujourd’hui. Grand nombre d’entre eux sont convaincus que, le secret de cette science une fois trouvé, non-seulement on transformera les métaux en argent et en or, mais encore on guérira toutes les maladies dont l’espèce humaine est affligée. Aussi ne cessent-ils, malgré leurs journalières déceptions, de faire durant leur vie entière de nombreuses expériences pour atteindre ce but. C’est à ces infatigables chercheurs d’or et de remède souverain que Khèyam décoche ses traits, en qualifiant le vin d’alchimie et en insinuant qu’en lui seul consiste le remède qu’ils cherchent vainement ailleurs.
  4. Mèn ou batmèn, poids persan d’environ six livres.