Page:Nicolas - Les Quatrains de Khèyam.djvu/114

Cette page n’a pas encore été corrigée
88
LES QUATRAINS DE KHÈYAM.


168

On assure qu’il y aura un paradis peuplé de houris, qu’on y trouvera du vin limpide et du miel. Il nous est donc permis d’aimer le vin et les femmes ici-bas, car notre fin ne doit-elle pas aboutir à cela[1] ?


169

On prétend qu’il existe un paradis où sont des houris, où coule le Kooucer[2], où se trouve du vin limpide, du miel, du sucre ; oh ! remplis vite une coupe de vin et mets-la moi en main, car une jouissance présente vaut mille jouissances futures !


170

Une montagne elle-même danserait de joie si tu l’abreuvais de vin. Il n’y a qu’un insensé qui puisse mépriser la coupe. Tu oses m’ordonner de renoncer à ce jus de la treille ! Sache donc que le vin est une âme qui perfectionne l’homme[3].


171

De temps à autre mon cœur se trouve à l’étroit dans sa cage. Il est honteux d’être mêlé avec l’eau et la boue. J’ai bien songé à détruire cette prison, mais mon pied aurait alors rencontré une pierre en glissant sur l’étrier du chèr’e (loi du Koran)[4].

  1. Je trouve dans un manuscrit que je possède l’équivalent de ce quatrain avec une légère différence dans la rédaction. Le voici :
    [Texte en persan]

    « On dit qu’il y aura un paradis dans les hautes régions ; que là il y aura du vin limpide et des houris célestes. Quelle crainte pouvons-nous donc avoir à adorer le vin et nos maîtresses ici-bas, puisque c’est à cela que notre fin doit aboutir ? »

  2. Le Kooucer est le fleuve dans le paradis de Mohammed où coule une eau plus douce que le miel, plus blanche que le lait, etc. (Voyez, pour ce passage, le Koran, chapitre intitulé Le Kooucer.)
  3. Harangue à l’adresse des moullahs qui, interprétant le Koran suivant la lettre et non suivant l’esprit, défendent aux fidèles l’usage du vin comme une chose abominable, et qui doit leur interdire à jamais le paradis. Par cette expression : Le vin est une âme qui perfectionne l’homme, le poëte veut dire que cotte sublime boisson est un élixir qui, en éloignant l’homme des soucis des choses mondaines, le rapproche de la Divinité. Du reste, ainsi que je l’ai fait observer plus haut, le vin n’est, suivant la pensée du poëte, qu’une figure symbolique et c’est Dieu qu’il représente. (Voyez note 2, quatrain 78.) Le mot [Texte en persan], âme, est employé chez les Persans pour admirable, ravissant, sublime, etc. En parlant d’une belle femme, d’un beau garçon, d’un joli site, d’une jolie fleur, etc. ils disent : [Texte en persan], c’est une âme, ou encore [Texte en persan], c’est une âme personnifiée, pour : il ou elle est ravissante, admirable, sublime, etc.
  4. C’est-à-dire : je ne saurais me prendre la vie par un suicide sans enfreindre la loi du Koran. C’est une observation par laquelle notre poëte fait sous-entendre insidieusement que lui aussi se conforme, en ne se détruisant pas lui-même, aux lois que renferme ce saint livre, où du reste cette même locution : le pied pourrait glisser, est employée. (Voyez chapitre Les abeilles, verset 96.)