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LES QUATRAINS DE KHÈYAM.


164

Un amour mondain ne saurait produire de reflet. Il est comme un l’eu à demi éteint qui n’a plus de chaleur. Un véritable amoureux[1] ne doit connaître pendant des mois, pendant des années, durant la nuit, durant le jour, ni tranquillité, ni repos, ni nourriture, ni sommeil.


165

Jusques à quand passeras-tu ta vie à t’adorer toi-même, ou à chercher la cause du néant et de l’être ? Bois du vin, car une vie qui est suivie de la mort, il vaut mieux la passer, soit dans le sommeil, soit dans l’ivresse.


166

Demain, j’aurai franchi le mont qui nous sépare, et avec un bonheur indicible je prendrai la coupe en main[2]. Ma maîtresse m’est favorable, le temps m’est propice ; si je ne m’empresse de jouir dans un tel moment, quand donc jouirai-je ?


167

Il est des gens qui par leur présomption outrée se sont précipités dans l’orgueil, d’autres qui s’élancent à la recherche des houris et des palais célestes[3]. Lorsque les rideaux seront levés on verra qu’ils sont tous tombés loin, loin, loin de toi, (ô Dieu !).

  1. C’est-à-dire : celui qui, détaché des choses de ce monde, se livre entièrement à l’amour de la Divinité.
  2. Le texte porte : [Texte en persan] ; le mot [Texte en persan] (èlèm) signifie drapeau, marque, signe, enseigne, obstacle, montagne, etc. Notre poëte entend par ce mot le corps qui enveloppe son âme et qui est un obstacle à l’ascension de celle-ci vers la source de la splendeur divine à laquelle elle appartient. Demain, c’est-à-dire, bientôt, dans un instant peut-être, Khèyam aura surmonté cet obstacle ; en d’autres termes : son âme, débarrassée de sa dépouille terrestre, s’envolera vers les célestes plaines, où elle jouira enfin de la sublime béatitude. Mais que dire des deux derniers hémistiches de ce quatrain ? Doit-on les prendre dans un sens mystique ? La réponse de la plupart des Persans, que j’ai consultés sur ce sujet, est affirmative. Mais les moullahs, cela va sans dire, ces adversaires irréconciliables de Khèyam et de ses adhérents, sont d’un avis contraire.
  3. Outre les houris, outre les palais bâtis en pierres précieuses, le Koran (voyez ce livre, chapitre intitulé La grande nouvelle, verset 33) promet aux fidèles des [Texte en persan], jeunes et beaux garçons, qui leur serviront du vin exquis dans des coupes de différentes formes. (Voyez le Koran, chapitre Le jugement, versets 17 et 18.)