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LES QUATRAINS DE KHÈYAM.


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Heureux le cœur de celui qui a passé inconnu, qui n’a revêtu ni djubbeh[1], ni dérvèh[2], ni souf[3], qui, semblable au simourg, s’est élevé dans les cieux, au lieu de se complaire comme le hibou parmi les ruines de ce monde[4].


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Les buveurs seuls savent apprécier le langage des roses et du vin[5], et non les faibles de cœur ou les pauvres d’esprit. Ceux qui n’onl point idée de ce qui est occulte, leur ignorance est pardonnable, car les ivrognes seuls sont susceptibles de goûter les délices que comporte un tel ordre de cboses.


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Une fois dans la taverne on ne peut faire ses ablutions qu’avec du vin. Là, quand un nom est souillé, il ne saurait être réhabilité. Apporte-donc du vin, puisque le voile de notre pudeur est déchiré de manière à ne pouvoir être réparé[6].


143

Bercé d’un vain espoir, j’ai jeté au vent une partie de mon existence, et cela sans avoir connu ici-bas un seul jour de bonheur. Ce que je crains maintenant, c’est que le temps ne m’empêche de saisir l’occasion de me dédommager du passé.

  1. Robe de cérémonie. C’est une espèce de manteau à longues manches que les Persans revêtent pour faire leurs visites. Il est en drap, en étoffe du pays, ou en cachemire.
  2. Vêtement de luxe.
  3. Étoffe de laine d’un grand prix.
  4. [Texte en persan], griffon. Selon la tradition persane, cet oiseau fabuleux, d’une grosseur énorme, était, dans le commencement des siècles, très-utile à l’homme par ses conseils et par son pouvoir surhumain ; mais l’ingratitude et la perversité de son compagnon l’ayant profondément dégoûté, il se retira sur le mont Kaf, dont le sommet, disent les chroniqueurs persans, est proche du soleil, et dont la base est en émeraude, d’où le ciel prend sa couleur azurée. C’est la femelle de cet oiseau qui eut soin de Zal, père de Rustèm, abandonné dès sa naissance par son propre père, Sam, dans les montagnes de l’Elbourz, près du mont Dèmavend, et qui lui servit de nourrice. (Voyez Histoire de Perse, par Malcolm.)
  5. Le texte porte : [Texte en persan], « l’état, la situation des fleurs, des roses et du vin, » à l’égard de la Divinité, leurs sentiments, leur langage apparent, en un mot. Qui pourrait comprendre un tel concours, un pareil ordre de choses, si ce n’est ceux qui, comme les roses, le vin, le rossignol, la nature entière, se livrent à la contemplation du Tout-Puissant ?
  6. Épigramme contre cette fatale prédestination que respire le Koran concernant ceux qui enfreignent ses lois, et que les soufis repoussent comme étant incompatible avec la miséricorde infinie de la Divinité. (Voyez le Koran, chapitre intitulé La vache, versets 5e, 6e, 9e, 14e, 17e, et l’avant-dernier verset du chapitre Hod.)