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LA MORT FAIT LE TROTTOIR

— Et maintenant la vie commence.

L’avait-elle assez attendue cette minute où elle se sentirait enfin libre ; l’avait-elle assez désirée cette heure où elle réaliserait son rêve d’être une artiste. Il y avait déjà quatre ans qu’elle luttait pour en goûter la joie, car ni son père, fonctionnaire que les hasards de sa carrière avaient amené à Paris, ni sa mère, provinciale dont Ruby avait hérité la beauté, mais qui était froide, un peu hautaine, assez dure à l’égard de ses enfants, n’avaient admis un seul instant que leur fille pût monter sur les planches et y être danseuse. Tout leur orgueil était exalté par leurs fils, l’aîné, docteur en droit, principal clerc dans une étude d’avoué dont la succession lui était assurée, le second sorti major de l’École des Mines, et le dernier, un peu plus jeune que Ruby, qui préparait Polytechnique.

Mais ni les objurgations de son père, ni les remontrances méchantes de sa mère n’avaient eu raison de l’obstination de la jeune fille. Elle avait quinze ans quand, en sortant d’une représentation du Châtelet, elle avait décidé d’être danseuse.

— Ma fille, ballerine, saltimbanque, avait dit la mère dans un sursaut indigné. Je préférerais la voir entrer au couvent.

— Pense à l’avenir de tes frères que tu compromets, avait ajouté le père. Crois-tu qu’ils trouveront à se marier quand on saura que leur sœur s’exhibe en public.