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LES NUITS DU RAMAZAN.

dramatique se trouve encore en Turquie. Il est impossible d’y méconnaître ce sentiment de comique primitif que l’on retrouve dans les pièces grecques et latines. Mais cela ne va pas plus loin. L’organisation de la société musulmane est contraire à l’établissement d’un théâtre sérieux. Un théâtre est impossible sans les femmes, et, quoi qu’on fasse, on ne pourra pas amener les maris à les laisser paraître en public. Les marionnettes, les acteurs même qui paraissent dans les représentations des cafés, ne servent qu’à amuser les habitués de ces établissements, peu généreux d’ordinaire… L’homme riche donne des représentations chez lui. Il invite ses amis, ses femmes invitent également leurs connaissances, et la représentation a lieu dans une grande salle de la maison. En sorte qu’il est impossible d’établir un théâtre machiné, excepté chez les grands personnages. Le sultan lui-même, quoique fort amateur de représentations théâtrales, n’a chez lui aucune salle de spectacle solidement construite ; il arrive souvent que les dames du sérail, entendant parler de quelque représentation brillante qui s’est donnée au théâtre de Péra, veulent en jouir à leur tour, et le sultan s’empresse alors d’engager la troupe pour une ou plusieurs soirées.

On fait aussitôt construire, au palais d’été, un théâtre provisoire, adossé à l’une des façades du bâtiment. Les fenêtres des cadines (dames), parfaitement grillées d’ailleurs, deviennent des loges, d’où partent parfois des éclats de rire ou des signes d’approbation ; et la salle en amphithéâtre placée entre ces loges et le théâtre n’est garnie que des invités masculins, des personnages diplomatiques et autres conviés à ces fêtes théâtrales.

Le sultan a eu récemment la curiosité de faire jouer devant lui une comédie de Molière : c’était M. de Pourceaugnac ; l’effet en a été immense. Des interprètes expliquaient à mesure les situations aux personnes de la cour qui ne comprenaient pas le français. Mais il faut reconnaître que la plupart des hommes d’État turcs connaissent plus ou moins notre langue, attendu