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le chemin, en avant des pas du cheval monté par le cheik. Ils se rangèrent côte à côte, le plus près possible les uns des autres, les jambes allongées, et le front appuyé sur leurs bras croisés, en murmurant sans interruption le mot Allah ! Puis environ douze derviches, ou davantage, se mirent à courir sur le dos de leurs compagnons prosternés, quelques-uns frappant sur des bazes, ou petits tambours, qu’ils tenaient de la main gauche, et en s’écriant aussi : Allah ! Le cheval que montait le cheik hésita quelques minutes à poser le pied sur le premier de ces hommes étendus en travers de son chemin ; mais, étant poussé par derrière, il se décida, et, sans crainte apparente, il prit l’amble d’un pas élevé, et passa sur eux tous, conduit par deux hommes qui le tenaient de chaque côté, courant eux-mêmes, l’un sur les pieds, l’autre sur les têtes des prosternés. Immédiatement, il s’éleva un long cri parmi les spectateurs ; Allah ! Allah ! Pas un de ces hommes ainsi foulés sous les pieds du cheval et de ses deux conducteurs ne parut blessé, et chacun d’eux, se relevant d’un seul bond aussitôt que l’animal avait passé sur lui, se joignait à la procession qui suivait le cheik. Tous avaient supporté deux pas du cheval, l’un d’un des pieds de devant, l’autre d’un des pieds de derrière, sans oublier le passage des deux conducteurs. On dit que ces derviches, aussi bien que le cheik, récitent certaines prières et certaines invocations le jour précédent, afin de ne courir aucun risque dans cette cérémonie, et de se relever sains et saufs. Quelques-uns ayant eu la témérité de participer à cette dévotion sans s’y être préalablement préparés, ont été, en maintes occasions, ou tués ou cruellement estropiés. Le succès de cette pratique religieuse est considéré comme un miracle accordé à chaque cheïk de Saadyeh[1].

Une des coutumes de quelques-uns de la Saadyeh, en

  1. On dit que le second cheik de Saadyeh (le successeur immédiat du fondateur de l’ordre) fit courir son cheval sur des amas de morceaux de verre sans qu’il y en eût un seul de brisé.