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VOYAGE EN ORIENT.

mour. Une seule nuit encore, et ils pourront envoyer à une de leurs femmes, s’ils en ont plusieurs, le bouquet qui indique une préférence. S’ils n’en ont qu’une seule, le bouquet lui revient de droit. Mais, quant au sultan, en qualité de padischa et de calife, il a le droit de ne pas attendre le premier jour de la lune de Lailet-ul-id, qui est celle du mois suivant, et qui ne parait qu’au premier jour du grand Baïram. Il a une nuit d’avance sur tous ses sujets pour la procréation d’un héritier, qui ne peut, cette fois, résulter que d’une femme nouvelle.

Ceci était le sens de la cérémonie qui se faisait, m’a-t-on dit, entre le vieux sérail et le nouveau. La mère ou la tante du sultan devait conduire à son fils une esclave vierge, qu’elle achète elle-même au bazar, et qu’elle mène en pompe dans un carrosse de parade[1].

En effet, une longue file de voitures traversa bientôt les quartiers populeux de Stamboul, en suivant la rue centrale jusqu’à Sainte-Sophie, près de laquelle est située la porte du grand sérail. Ces voitures, au nombre d’une vingtaine, contenaient toutes les parentes de Sa Hautesse, ainsi que les sultanes réformées avec pension, après avoir donné le jour à un prince ou à une princesse. Les grillages des voitures n’empêchaient pas que l’on ne distinguât la forme de leurs têtes voilées de blanc et de leurs vêtements de dessus. Il y en avait une dont l’énormité m’étonna. Par privilège sans doute, et grâce à la liberté que pouvait lui donner son rang ou son âge, elle n’avait la tête entourée que d’une gaze très-fine qui laissait distinguer des traits autrefois beaux. Quant à la future cadine, elle était sans doute dans le carrosse principal ; mais il était impossible de la distinguer des autres dames. Un grand nombre de valets de pied portaient des torches et des pots à feu des deux côtés du cortège.

On s’arrêta sur cette magnifique place de la porte du sérail, décorée d’une splendide fontaine, ornée de marbre, de décou-

  1. Cette cérémonie n’a plus lieu depuis quelque temps.