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VOYAGE EN ORIENT.

— Est-ce ainsi que tu suis mes préceptes ? réplique l’ombre d’un ton sévère. Point de vaines paroles ; la nuit s’avance, bientôt l’œil flamboyant d’Adonaï va parcourir la terre ; il faut se hâter. Faible enfant ! t’aurais-je abandonné dans une heure si périlleuse ? Sois sans crainte ; tes moules sont remplis : la fonte, en élargissant tout à coup l’orifice du four muré de pierres trop peu réfractaires, a fait irruption, et le trop-plein a jailli par-dessus les bords. Tu as cru à une fissure, perdu la tête, jeté de l’eau, et le jet de fonte s’est étoile.

— Et comment affranchir les bords de la vasque de ces bavures de fonte qui y ont adhéré ?

— La fonte est poreuse et conduit moins bien la chaleur que ne le ferait l’acier. Prends un morceau de fonte, chauffe-le par un bout, refroidis-le par l’autre, et frappe un coup de masse : le morceau cassera juste entre le chaud et le froid. Les terres et les cristaux sont dans le même cas.

— Maître, je vous écoute.

— Par Éblis ! mieux vaudrait me deviner. Ta vasque est brûlante encore : refroidis brusquement ce qui déborde les contours, et sépare les bavures à coups de marteau.

— C’est qu’il faudrait une vigueur…

— Il faut un marteau. Celui de Tubal-Kaïn a ouvert le cratère de l’Etna pour donner un écoulement aux scories de nos usines.

Adoniram entendit le bruit d’un morceau de fer qui tombe ; il se baissa et ramassa un marteau pesant, mais parfaitement équilibré pour la main. Il voulut exprimer sa reconnaissance ; l’ombre avait disparu, et l’aube naissante avait commencé à dissoudre le feu des étoiles.

Un moment après, les oiseaux qui préludaient à leurs chants prirent la fuite au bruit du marteau d’Adoniram, qui, frappant à coups redoublés sur les bords de la vasque, troublait seul le profond silence qui précède la naissance du jour…

Cette séance avait vivement impressionné l’auditoire, qui