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VOYAGE EN ORIENT.

quitté les carrières de Gelboé, les charpentiers avaient déserté les chantiers lointains, les mineurs avaient remonté à la surface du sol. Le cri de la renommée, en passant sur les contrées voisines, avait mis en mouvement ces populations ouvrières et les avait acheminées vers le centre de leurs travaux. Ils étaient donc là, pêle-mêle, femmes, enfants, soldats, marchands, ouvriers, esclaves et citoyens paisibles de Jérusalem ; plaines et vallons suffisaient à peine à contenir cette immense cohue, et, à plus d’un mille de distance, l’œil de la reine se posait, étonné, sur une mosaïque de têtes humaines qui s’échelonnaient en amphithéâtre jusqu’au sommet de l’horizon. Quelques nuages, interceptant çà et là le soleil qui inondait cette scène, projetaient sur cette mer vivante quelques plaques d’ombre.

— Vos peuples, dit la reine Balkis, sont plus nombreux que les grains de sable de la mer…

— Il y a des gens de tous pays, accourus pour vous voir ; et, ce qui m’étonne, c’est que le monde entier n’assiège pas Jérusalem en ce jour ! Grâce à vous, les campagnes sont désertes ; la ville est abandonnée, et jusqu’aux infatigables ouvriers de maître Adoniram…

— Vraiment ! interrompit la princesse de Saba, qui cherchait dans son esprit un moyen de faire honneur à l’artiste : des ouvriers comme ceux d’Adoniram seraient ailleurs des maîtres. Ce sont les soldats de ce chef d’une milice artistique… Maître Adoniram, nous désirons passer en revue vos ouvriers, les féliciter, et vous complimenter en leur présence.

Le sage Soliman, à ces mots, élève ses deux bras au-dessus de sa tête avec stupeur.

— Comment, s’écrie-t-il, rassembler les ouvriers du temple, dispersés dans la fête, errant sur les collines et confondus dans la foule ? Ils sont fort nombreux, et l’on s’ingénierait en vain à grouper en quelques heures tant d’hommes de tous les pays et qui parlent diverses langues, depuis l’idiome sanscrit de l’Himalaya, jusqu’aux jargons obscurs et gutturaux de la sauvage Libye.