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LES FEMMES DU CAIRE.

d’attendre que je me fusse informé auprès de mes amis de ce qu’il conviendrait de faire.

J’avais loué la maison pour six mois, je l’avais meublée, je m’y trouvais fort bien, et je voulais seulement m’informer des moyens de résister aux prétentions du cheik à rompre notre traité et à me donner congé pour cause de célibat. Après bien des hésitations, je me décidai à prendre conseil du peintre de l’hôtel Domergue qui avait bien voulu déjà m’introduire dans son atelier et m’initier aux merveilles de son daguerréotype. Ce peintre avait l’oreille dure à ce point qu’une conversation par interprète eût été amusante et facile au prix de la sienne.

Cependant je me rendais chez lui en traversant la place de l’Esbekieh, lorsqu’à l’angle d’une rue qui tourne vers le quartier franc, j’entends des exclamations de joie parties d’une vaste cour où l’on promenait dans ce moment-là de fort beaux chevaux. L’un des promeneurs de chevaux s’élance à mon cou et me serre dans ses bras ; c’était un gros garçon vêtu d’une saye bleue, coiffé d’un turban de laine jaunâtre, et que je me souvins d’avoir remarqué sur le bateau à vapeur, à cause de sa figure, qui rappelait beaucoup les grosses têtes peintes qu’on voit sur les couvercles de momies.

Tayeb ! tayeb ! (fort bien ! fort bien !) dis-je à ce mortel expansif en me débarrassant de ses étreintes et en cherchant derrière moi mon drogman Abdallah.

Mais ce dernier s’était perdu dans la foule, ne se souciant pas sans doute d’être vu faisant cortège à l’ami d’un simple palefrenier. Ce musulman gâté par les touristes d’Angleterre ne se souvenait pas que Mahomet avait été conducteur de chameaux.

Cependant l’Égyptien me tirait par la manche et m’entraînait dans la cour, qui était celle des haras du pacha d’Égypte, et, là, au fond d’une galerie, à demi couché sur un divan de bois, je reconnais un autre de mes compagnons de voyage, un peu plus avouable dans la société, Soliman-Aga, dont j’ai parlé déjà, et que j’avais rencontré sur le bateau autrichien, le