Page:Nerval - Voyage en Orient, I, Lévy, 1884.djvu/60

Cette page a été validée par deux contributeurs.
48
VOYAGE EN ORIENT.

dans la principale rue du quartier franc ; c’est, après tout, un hôtel fort convenable et fort bien tenu. Les bâtiments entourent à l’intérieur une cour carrée peinte à la chaux, couverte d’un léger treillage où s’entrelace la vigne ; un peintre français, très-aimable, quoique un peu sourd, et plein de talent, quoique très-fort sur le daguerréotype, a fait son atelier d’une galerie supérieure. Il y amène de temps en temps des marchandes d’oranges et de cannes à sucre de la ville qui veulent bien lui servir de modèles. Elles se décident sans difficulté à laisser étudier les formes des principales races de l’Égypte ; mais la plupart tiennent à conserver leur figure voilée ; c’est là le dernier refuge de la pudeur orientale.

L’hôtel français possède, en outre, un jardin assez agréable ; sa table d’hôte lutte avec bonheur contre la difficulté de varier les mets européens dans une ville où manquent le bœuf et le veau. C’est cette circonstance qui explique surtout la cherté des hôtels anglais, dans lesquels la cuisine se fait avec des conserves de viandes et de légumes, comme sur les vaisseaux. L’Anglais, en quelque pays qu’il soit, ne change jamais son ordinaire de rosbif, de pommes de terre, et de porter ou d’ale.

Je rencontrai à la table d’hôte un colonel, un évêque in partibus, des peintres, une maîtresse de langues et deux Indiens de Bombay, dont l’un servait de gouverneur à l’autre. Il parait que la cuisine toute méridionale de l’hôte leur semblait fade, car ils tirèrent de leur poche des flacons d’argent contenant un poivre et une moutarde à leur usage dont ils saupoudraient tous leurs mets. Ils m’en ont offert. La sensation qu’on doit éprouver à mâcher de la braise allumée donnerait une idée exacte du haut goût de ces condiments.

On peut compléter le tableau du séjour de l’hôtel français en se représentant un piano au premier étage et un billard au rez-de-chaussée, et se dire qu’autant vaudrait n’être point parti de Marseille. J’aime mieux, pour moi, essayer de la vie orientale, tout à fait. On a une fort belle maison de plusieurs étages, avec cours et jardins, pour trois cents piastres (soixante--