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DRUSES ET MARONITES.

quelques touristes taciturnes et d’un certain nombre d’Orientaux cérémonieux.

Le Marseillais m’avait conduit en causant jusqu’à une place où il avait étendu son matelas auprès d’un autre occupé par un prêtre grec et sa femme qui faisaient le pèlerinage de Jérusalem. C’étaient deux vieillards de fort bonne humeur, qui avaient lié déjà une étroite amitié avec le Marseillais. Ces gens possédaient un corbeau qui sautelait sur leurs genoux et sur leurs pieds et partageait leur maigre déjeuner. Le Marseillais me fit asseoir près de lui et tira d’une caisse un énorme saucisson et une bouteille de forme européenne.

— Si vous n’aviez pas déjeuné tout à l’heure, me dit-il, je vous offrirais de ceci ; mais vous pouvez bien en goûter : c’est du saucisson d’Arles, monsieur ! cela rendrait l’appétit à un mort !… Voyez ce qu’ils vous ont donné à manger aux premières, toutes leurs conserves de rosbif et de légumes qu’ils tiennent dans des boîtes de fer-blanc… si cela vaut une bonne rondelle de saucisson, que la larme en coule sur le couteau !… Vous pouvez traverser le désert avec cela dans votre poche, et vous ferez encore bien des politesses aux Arabes, qui vous diront qu’ils n’ont jamais rien mangé de meilleur !

Le Marseillais, pour prouver son assertion, découpa deux tranches et les offrit au pope grec et à sa femme, qui ne manquèrent pas de faire honneur à ce régal.

— Par exemple, cela pousse toujours à boire, reprit-il. Voilà du vin de la Camargue qui vaut mieux que le vin de Chypre, s’entend comme ordinaire… Mais il faudrait une tasse ; moi, quand je suis seul, je bois à même la bouteille.

Le pope tira de dessous ses habits une sorte de coupe en argent couverte d’ornements repoussés d’un travail ancien, et qui portait à l’intérieur des traces de dorure ; peut-être était-ce un calice d’église. Le sang de la grappe perlait joyeusement dans le vermeil. Il y avait si longtemps que je n’avais bu de vin rouge, et j’ajouterai même de vin français, que je vidai la tasse