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DRUSES ET MARONITES.

— Vous ai-je dit qu’il y eût des cadavres ? Telle n’est pas notre tradition. Les astres promettaient au calife quatre vingts ans de vie, s’il échappait au danger de cette nuit du 27 schawal 411 de l’hégire. Ne savez-vous pas que, pendant seize ans après sa disparition, le peuple du Caire ne cessa de dire qu’il était vivant[1] ?

— On m’a raconté, en effet, bien des choses semblables, dis-je ; mais on attribuait les fréquentes apparitions de Hakem à des imposteurs, tels que Schérout, Sikkin et d’autres, qui avaient avec lui quelque ressemblance et jouaient ce rôle. C’est ce qui arrive pour tous ces souverains merveilleux dont la vie devient le sujet des légendes populaires. Les Cophtes prétendent que Jésus-Christ apparut à Hakem, qui demanda pardon de ses impiétés et fit pénitence pendant de longues années dans le désert.

— Voici la vérité selon nos livres, dit le cheik. Après la scène sanglante qui eut lieu près des tombeaux, les deux esclaves chargés des ordres de Sétalmule s’enfuirent et gagnèrent la ville. Un vieillard passa suivi d’une troupe armée, fit examiner par l’un des siens les blessures du calife et de Yousouf, fils de Dawas, et y fit verser une liqueur précieuse. Ensuite on transporta ces corps dans le tombeau des Fatimites, nécropole immense construite par Moëzzeldin, le fondateur du Caire. Les deux amis, l’un calife, l’autre pécheur, furent placés dans des tombeaux pareils ; ils étaient tous deux princes, tous deux petits-fils de Moëzzeldin. Ce dernier vivait encore.

— Pardon, dis-je au cheik, j’ai eu déjà peine à distinguer dans votre récit ce qui est merveilleux de ce qui est réel, c’est le défaut pour nous de toutes vos histoires arabes…

  1. Tous ces détails, ainsi que les données générales de la légende, sont racontés par les historiens cités plus haut, et reproduits la plupart dans l’ouvrage de Silvestre de Sacy sur la religion des Druses. Il est probable que, dans ce récit, fait au point de vue particulier des Druses, on assiste à une de ces luttes millénaires entre les bons et les mauvais esprits incarnés dans une forme humaine, dont nous avons donné un aperçu pages 370-372.