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DRUSES ET MARONITES.

— Dieu nous en préserve ! s’écria Sétalmule.

— Au réveil du prince des croyants, ajouta le vizir, j’espère que cet égarement se sera dissipé, et qu’il pourra, comme à l’ordinaire, présider le grand conseil.

Argévan attendait au point du jour le réveil du calife. Celui-ci n’appela ses esclaves que très-tard, et on lui annonça que déjà la salle du divan était remplie de docteurs, de gens de loi et de cadis. Lorsque Hakem entra dans la salle, tout le monde se prosterna selon la coutume, et le vizir, en se relevant, interrogea d’un regard curieux le visage pensif du maître.

Ce mouvement n’échappa point au calife. Une sorte d’ironie glaciale lui sembla empreinte dans les traits de son ministre. Depuis quelque temps déjà, le prince regrettait l’autorité trop grande qu’il avait laissé prendre à des inférieurs, et, en voulant agir par lui-même, il s’étonnait de rencontrer toujours des résistances parmi les ulémas, cachefs et moudhirs, tous dévoués à Argévan. C’était pour échapper à cette tutelle, et afin de juger les choses par lui-même, qu’il s’était précédemment résolu à des déguisements et à des promenades nocturnes.

Le calife, voyant qu’on ne s’occupait que des affaires courantes, arrêta la discussion, et dit d’une voix éclatante :

— Parlons un peu de la famine ; je me suis promis aujourd’hui de faire trancher la tête à tous les boulangers.

Un vieillard se leva du banc des ulémas, et dit :

— Prince des croyants, n’as-tu pas fait grâce à l’un d’eux hier dans la nuit ?

Le son de cette voix n’était pas inconnu au calife, qui répondit :

— Cela est vrai ; mais j’ai fait grâce à condition que le pain serait vendu à raison de dix ocques pour un sequin.

— Songe, dit le vieillard, que ces malheureux payent la farine dix sequins l’ardeb. Punis plutôt ceux qui la leur vendent à ce prix.