Page:Nerval - Voyage en Orient, I, Lévy, 1884.djvu/358

Cette page a été validée par deux contributeurs.
346
VOYAGE EN ORIENT.

cependant, chose étrange, je ne puis éprouver aucun remords de ce penchant illégitimes ; j’ai beau me condamner, je suis absous par un pouvoir mystérieux que je sens en moi. Mon amour n’a rien des impuretés terrestres. Ce n’est pas la volupté qui me pousse vers ma sœur, bien qu’elle égale en beauté le fantôme de mes visions ; c’est un attrait indéfinissable, une affection profonde comme la mer, vaste comme le ciel, et telle que pourrait l’éprouver un dieu. L’idée que ma sœur pourrait s’unir à un homme m’inspire le dégoût et l’horreur comme un sacrilège ; il y a chez elle quelque chose de céleste que je devine à travers les voiles de la chair. Malgré le nom dont la terre la nomme, c’est l’épouse de mon âme divine, la vierge qui me fut destinée dès les premiers jours de la création ; par instants, je crois ressaisir, à travers les âges et les ténèbres, des apparences de notre filiation secrète. Des scènes qui se passaient avant l’apparition des hommes sur la terre me reviennent en mémoire, et je me vois sous les rameaux d’or de l’Éden, assis auprès d’elle et servi par les esprits obéissants. En m’unissant à une autre femme, je craindrais de prostituer et de dissiper l’âme du monde qui palpite en moi. Par la concentration de nos sangs divins, je voudrais obtenir une race immortelle, un dieu définitif, plus puissant que tous ceux qui se sont manifestés jusqu’à présent sous divers noms et sous diverses apparences !

Pendant que Yousouf et l’étranger échangeaient ces longues confidences, les habitués de l’okel, agités par l’ivresse, se livraient à des contorsions extravagantes, à des rires insensés, à des pâmoisons extatiques, à des danses convulsives ; mais peu à peu, la force du chanvre s’étant dissipée, le calme leur était revenu, et ils gisaient le long des divans dans l’état de prostration qui suit ordinairement ces excès.

Un homme à mine patriarcale, dont la barbe inondait la robe traînante, entra dans l’okel et s’avança jusqu’au milieu de la salle.

— Mes frères, levez-vous, dit-il d’une voix sonore ; je viens d’observer le ciel ; l’heure est favorable pour sacrifier devant le