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VOYAGE EN ORIENT.

— Vois-tu, dit-elle à l’esclave, si tu voulais apprendre à coudre, le sidi (seigneur) irait acheter au bazar sept à huit pics de taffetas, et tu pourrais te faire une robe de grande dame.

Mais certainement l’esclave eût préféré la robe toute faite.

Il me sembla que la jeune fille druse jetait un regard assez triste sur ces ornements, qui n’étaient plus faits pour sa fortune, et qui ne l’étaient guère davantage pour celle que l’esclave pouvait tenir de moi ; je les avais achetés au hasard, sans trop m’inquiéter des convenances et des possibilités. Il est clair qu’une garniture de dentelle appelle une robe de velours ou de satin ; tel était à peu près l’embarras où je m’étais jeté imprudemment. De plus, je semblais jouer le rôle difficile d’un riche particulier, tout prêt à déployer ce que nous appelons un luxe asiatique, et qui, en Asie, donne l’idée plutôt d’un luxe européen.

Je crus m’apercevoir que cette supposition ne m’était pas, en général, défavorable. Les femmes sont, hélas ! un peu les mêmes dans tous les pays. Madame Carlès eut peut-être aussi plus de considération pour moi dès lors, et voulut bien ne voir qu’une simple curiosité de voyageur dans les questions que je lui fis sur la jeune fille druse. Je n’eus pas de peine non plus à lui faire comprendre que le peu qu’elle m’en avait dit le premier jour avait excité mon intérêt pour l’infortune du père.

— il ne serait pas impossible, dis-je à l’institutrice, que je fusse de quelque utilité à ces personnes ; je connais un des employés du pacha ; de plus, vous savez qu’un Européen un peu connu a de l’influence sur les consuls.

— Oh ! oui, faites cela si vous pouvez ! me dit madame Carlès avec sa vivacité provençale ; elle le mérite bien, et son père aussi sans doute. C’est ce qu’ils appellent un akkat, un homme saint, un savant ; et sa fille, qu’il a instruite, a déjà le même titre parmi les siens : akkalé siti (dame spirituelle).

— Mais ce n’est que son surnom, dis-je ; elle a un autre nom encore ?