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VOYAGE EN ORIENT.

en ces termes : « Vénérable déesse, qui aime les ténèbres… visible et invisible… dont toutes choses émanent, car tu donnes des lois au monde entier, et tu commandes même aux Parques, souveraine de la nuit ! »


VIII — LES CYCLADES


Cérigo et Cérigotto montraient encore à l’horizon leurs contours anguleux ; bientôt nous tournâmes la pointe du cap Malée, passant si près de la Morée, que nous distinguions tous les détails du paysage. Une habitation singulière attira nos regards ; cinq ou six arcades de pierre soutenaient le devant d’une sorte de grotte précédée d’un petit jardin. Les matelots nous dirent que c’était la demeure d’un ermite, qui depuis longtemps vivait et priait sur ce promontoire isolé. C’est un lieu magnifique, en effet, pour rêver au bruit des flots comme un moine romantique de Byron ! Les vaisseaux qui passent envoient quelquefois une barque porter des aumônes à ce solitaire, qui probablement est en proie à la curiosité des Anglais. Il ne se montra pas pour nous : peut-être est-il mort.

À deux heures du matin, le bruit de la chaîne laissant tomber l’ancre nous éveillait tous, et nous annonçait entre deux rêves que, ce jour-là même, nous foulerions le sol de la Grèce véritable et régénérée. La vaste rade de Syra nous entourait comme un croissant.

Je vis depuis ce matin dans un ravissement complet. Je voudrais m’arrêter tout à fait chez ce bon peuple hellène, au milieu de ces îles aux noms sonores, et d’où s’exhale comme un parfum du Jardin des Racines grecques. Ah ! que je remercie à présent mes bons professeurs, tant de fois maudits, de m’avoir appris de quoi pouvoir déchiffrer, à Syra, l’enseigne d’un barbier, d’un cordonnier ou d’un tailleur. Eh quoi ! voici bien les mêmes lettres rondes et les mêmes majuscules… que je savais si bien lire du moins, et que je me donne le plaisir d’épeler tout haut dans la rue.