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VOYAGE EN ORIENT.

Cependant l’on avait ouvert la porte d’une petite construction carrée avec dôme destinée à être le tombeau du santon, et les derviches, placés au milieu de la foule, avaient repris le corps sur leurs épaules. Au moment d’entrer, ils semblèrent repoussés par une force inconnue, et tombèrent presque à la renverse. Il y eut un cri de stupéfaction dans l’assemblée. Ils se retournèrent vers la foule avec colère et prétendirent que les pleureuses qui suivaient le corps et les chanteurs d’hymnes avaient interrompu un instant leurs chants et leurs cris. On recommença avec plus d’ensemble ; mais, au moment de franchir la porte, le même obstacle se renouvela. Des vieillards élevèrent alors la voix.

— C’est, dirent-ils, un caprice du vénérable santon, il ne veut pas entrer les pieds en avant dans le tombeau. On retourna le corps, les chants reprirent de nouveau ; autre caprice, autre chute des derviches qui portaient le cercueil.

On se consulta.

— C’est peut-être, dirent quelques croyants, que le saint ne trouve pas cette tombe digne de lui ; il faudra lui en construire une plus belle.

— Non, non, dirent quelques Turcs, il ne faut pas non plus obéir à toutes ses idées ; le saint homme a toujours été d’une humeur inégale. Tâchons de le faire entrer ; une fois qu’il sera dedans, peut-être s’y plaira-t-il ; autrement, il sera toujours temps de le mettre ailleurs.

— Comment faire ? dirent les derviches.

— Eh bien, il faut tourner rapidement pour l’étourdir un peu, et puis, sans lui donner le temps de se reconnaître, vous le pousserez dans l’ouverture.

Ce conseil réunit tous les suffrages ; les chants retentirent avec une nouvelle ardeur, et les derviches, prenant le cercueil par les deux bouts, le firent tourner pendant quelques minutes ; puis, par un mouvement subit, ils se précipitèrent vers la porte, et cette fois avec un plein succès. Le peuple attendait avec anxiété le résultat de cette manœuvre hardie ; on craignit