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VOYAGE EN ORIENT.

fut accueilli à la cour des Médicis comme la révélation d’une chose inouïe alors, c’est-à-dire qu’il existât au pays des Sarrasins un peuple dévoué à l’Europe, soit par religion, soit par sympathie.

Fakardin passa à Florence pour un philosophe, héritier des sciences grecques du Bas-Empire, conservées à travers les traductions arabes, qui ont sauvé tant de livres précieux et nous ont transmis leurs bienfaits ; en France, on voulut voir en lui un descendant de quelques vieux croisés réfugiés dans le Liban à l’époque de saint Louis ; on chercha dans le nom même du peuple druse un rapport d’allitération qui conduisît à le faire descendre d’un certain comte de Dreux. Fakardin accepta toutes ces suppositions avec le laisser aller prudent et rusé des Levantins ; il avait besoin de l’Europe pour lutter contre le sultan.

Il passa à Florence pour chrétien ; il le devint peut-être, comme nous avons vu faire de notre temps à l’émir Béchir, dont la famille a succédé à celle de Fakardin dans la souveraineté du Liban ; mais c’était un Druse toujours, c’est-à-dire le représentant d’une religion singulière, qui, formée des débris de toutes les croyances antérieures, permet à ses fidèles d’accepter momentanément toutes les formes possibles de culte, comme faisaient jadis les initiés égyptiens. Au fond, la religion druse n’est qu’une sorte de franc-maçonnerie, pour parler selon les idées modernes.

Fakardin représenta quelque temps l’idéal que nous nous formons d’Hiram, l’antique roi du Liban, l’ami de Salomom, le héros des associations mystiques. Maître de toutes les côtes de l’ancienne Phénicie et de la Palestine, il tenta de constituer la Syrie entière en un royaume indépendant ; l’appui qu’il attendait des rois de l’Europe lui manqua pour réaliser ce dessein. Maintenant, son souvenir est resté pour le Liban un idéal de gloire et de puissance ; les débris de ses constructions, ruinées par la guerre plus que par le temps, rivalisent avec les antiques travaux des Romains. L’art italien, qu’il avait