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LES FEMMES DU CAIRE.

liques sont très-libres dans la montagne ; mais, aux portes de Beyrouth, on ne leur permet pas des constructions trop importantes, et il était même défendu aux jésuites d’avoir une cloche. Ils y avaient suppléé par un énorme grelot, qui, modifié de temps en temps, prenait des airs de cloche peu à peu. Les bâtiments aussi s’agrandissaient presque insensiblement sous l’œil peu vigilant des Turcs.

— Il faut un peu louvoyer, me disait le père Planchet ; avec de la patience, nous arriverons.

Il me reparla de l’esclave avec une sincère bienveillance. Pourtant je luttais avec mes propres incertitudes. Les lettres que j’attendais pouvaient arriver d’un jour à l’autre et changer mes résolutions. Je craignais que le père Planchet, se faisant illusion par pitié, n’eût en vue principalement l’honneur pour son couvent d’une conversion musulmane, et qu’après tout le sort de la pauvre fille ne devînt fort triste plus tard. Un matin, elle entra dans ma chambre en frappant des mains, et s’écriant tout effrayée :

Dursi ! Durzi ! bandouguillah ! (Les Druses ! les Druses ! des coups de fusil !)

En effet, la fusillade retentissait au loin ; mais c’était seulement une fantasia d’Albanais qui allaient partir pour la montagne. Je m’informai, et j’appris que les Druses avaient brûlé un village appelé Bethmérie, situé à quatre lieues environ. On envoyait des troupes turques, non pas contre eux, mais pour surveiller les mouvements des deux partis luttant encore sur ce point.

J’étais allé à Beyrouth, où j’avais appris ces nouvelles. Je revins très-tard, et l’on me dit qu’un émir ou prince chrétien d’un district du Liban était venu loger dans la maison. Apprenant qu’il s’y trouvait aussi un Franc d’Europe, il avait désiré me voir et m’avait attendu longtemps dans ma chambre, où il avait laissé ses armes comme signe de confiance et de fraternité. Le lendemain, le bruit que faisait sa suite m’éveilla de bonne heure ; il y avait avec lui six hommes bien armés et de