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VOYAGE EN ORIENT.

chalamment assise sur les nattes, elle se regardait comme entourée d’inférieurs et se faisait servir, quoi que je pusse faire pour en empêcher ces pauvres gens. Toutefois, je trouvais commode de pouvoir la laisser en sûreté dans cette maison lorsque j’allais à la ville. J’attendais des lettres qui n’arrivaient pas, le service de la poste française se faisant si mal dans ces parages, que les journaux et les paquets sont toujours en arrière de deux mois. Ces circonstances m’attristaient beaucoup et me faisaient faire des rêves sombres. Un matin, je m’éveillai assez tard, encore à moitié plongé dans les illusions du songe. Je vis à mon chevet un prêtre assis, qui me regardait avec une sorte de compassion.

— Comment vous sentez-vous, monsieur ? me dit-il d’un ton mélancolique.

— Mais assez bien… Pardon, je m’éveille, et…

— Ne bougez pas ! soyez calme. Recueillez-vous ; songez que le moment est proche.

— Quel moment ?

— Cette heure suprême, si terrible pour qui n’est pas en paix avec Dieu !

— Oh ! oh ! qu’est-ce qu’il y a donc ?

— Vous me voyez prêt à recueillir vos volontés dernières.

— Ah ! pour le coup, m’écriai-je, cela est trop fort ! Et qui êtes-vous ?

— Je m’appelle le père Planchet.

— Le père Planchet ?

— De la Compagnie de Jésus.

— Je ne connais pas ces gens-là !

— On est venu me dire au couvent qu’un jeune Américain en péril de mort m’attendait pour faire quelques legs à la communauté.

— Mais je ne suis pas Américain ! il y a erreur ! Et, de plus, je ne suis pas au lit de mort ; vous le voyez bien !

Et je me levai brusquement… un peu avec le besoin de me convaincre moi-même de ma parfaite santé. Le père Planchet