Page:Nerval - Voyage en Orient, I, Lévy, 1884.djvu/221

Cette page a été validée par deux contributeurs.
209
LES FEMMES DU CAIRE.

— Que faudrait-il en conclure ?

— Rien autre chose, sinon que l’argenterie qu’ils ont emportée formait probablement le gage exact des prêts qu’ils avaient pu faire dans Memphis. L’Égyptien est négligent ; il avait sans doute laissé s’accumuler les intérêts et les frais, et la rente au taux légal…

— De sorte qu’il n’y avait pas même à réclamer un boni ?

— J’en suis sûr. Les Hébreux n’ont emporté que ce qui leur était acquis selon toutes les lois de l’équité naturelle et commerciale. Par cet acte, assurément légitime, ils ont fondé dès lors les vrais principes du crédit. Du reste, le Talmud dit en termes précis : « Ils ont pris seulement ce qui était à eux. »

Je donne pour ce qu’il vaut ce paradoxe berlinois. Il me tarde de retrouver à quelques pas d’Héliopolis des souvenirs plus grands de l’histoire biblique. Le jardinier qui veille à la conservation du dernier monument de cette cité illustre, appelée primitivement Ainschems ou l’Œil-du-Soleil, m’a donné un de ses fellahs pour me conduire à Matarée. Après quelques minutes de marche dans la poussière, j’ai retrouvé une oasis nouvelle, c’est-à-dire un bois tout entier de sycomores et d’orangers ; une source coule à l’entrée de l’enclos, et c’est, dit-on, la seule source d’eau douce que laisse filtrer le terrain nitreux de l’Égypte. Les habitants attribuent cette qualité à une bénédiction divine. Pendant le séjour que la sainte famille fit à Matarée, c’est là, dit-on, que la Vierge venait blanchir le linge de l’Enfant Dieu. On suppose, en outre, que cette eau guérit la lèpre. De pauvres femmes qui se tiennent près de la source vous en offrent une tasse moyennant un léger bakchis.

Il reste, à voir encore, dans le bois, le sycomore touffu sous lequel se réfugia la sainte famille, poursuivie par la bande d’un brigand nommé Disma. Celui ci qui, plus tard, devint le bon larron, finit par découvrir les fugitifs ; mais tout à coup la foi toucha son cœur, au point qu’il offrit l’hospitalité à Joseph