Page:Nerval - Voyage en Orient, I, Lévy, 1884.djvu/137

Cette page a été validée par deux contributeurs.
125
LES FEMMES DU CAIRE.

de l’étrange et de l’imprévu, dont je ne pus me défendre, me décida en sa faveur. Elle était fort belle, du reste, et d’une solidité de formes qu’on ne craignait pas de laisser admirer ; l’éclat métallique de ses yeux, la blancheur de ses dents, la distinction des mains et la longueur des cheveux d’un ton d’acajou sombre, qu’on me fit voir en ôtant son tarbouch, ne laissaient rien à objecter aux éloges qu’Abd-el-Kérim exprimait en s’écriant :

Bono ! bono !

Nous redescendîmes et nous causâmes, avec l’aide d’Abdallah. Cette femme était arrivée la veille à la suite de la caravane, et n’était chez Abd-el-Kérim que depuis ce temps. Elle avait été prise toute jeune dans l’archipel indien par des corsaires de l’iman de Mascate.

— Mais, dis-je à Abdallah, si Abd-el-Kérim l’a mise hier avec ses femmes…

— Eh bien ? répondit le drogman en ouvrant des yeux étonnés.

Je vis que mon observation paraissait médiocre.

— Croyez-vous, dit Abdallah entrant enfin dans mon idée, que ses femmes légitimes le laisseraient faire la cour à d’autres ?… Et puis un marchand, songez-y donc ! Si cela se savait, il perdrait toute sa clientèle.

C’était une bonne raison. Abdallah me jura de plus qu’Abd-el-Kérim, comme bon musulman, avait dû passer la nuit en prières à la mosquée, vu la solennité de la fête de Mahomet.

Il ne restait plus qu’à parler du prix. On demanda cinq bourses (six cent vingt-cinq francs) ; j’eus l’idée d’offrir seulement quatre bourses ; mais, en songeant que c’était marchander une femme, ce sentiment me parut bas. De plus, Abdallah me fit observer qu’un marchand turc n’avait jamais deux prix.

Je demandai son nom… J’achetais le nom aussi, naturellement.

Z’n’b’! dit Abd-el-Kérim.