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VOYAGE EN ORIENT.

— Sachez, du reste, ajouta-t-il, qu’elles sont plus chères que les femmes nubiles.

Queste fanciulle sono cucite[1] ! dit Abd-el-Kérim dans son italien corrompu.

— Oh ! l’on peut être tranquille et acheter avec confiance, observa Abdallah d’un ton de connaisseur, les parents ont tout prévu.

— Eh bien, me disais-je en moi-même, je laisserai ces enfants à d’autres ; le musulman, qui vit selon sa loi, peut en toute conscience répondre à Dieu du sort de ces pauvres petites âmes ; mais, moi, si j’achète une esclave, c’est avec la pensée qu’elle sera libre, même de me quitter.

Ad-el-Kérim vint me rejoindre, et me fit monter dans la maison. Abdallah resta discrètement au pied de l’escalier.

Dans une grande salle aux lambris sculptés qu’enrichissaient encore des restes d’arabesques peintes et dorées, je vis rangées contre le mur cinq femmes assez belles, dont le teint rappelait l’éclat du bronze de Florence ; leur figure était régulière, leur nez droit, leur bouche petite ; l’ovale parfait de leur tête, l’emmanchement gracieux de leur col, la sérénité de leur physionomie leur donnaient l’air de ces madones peintes d’Italie dont la couleur a jauni par le temps. C’étaient des Abyssiniennes catholiques, des descendantes peut-être du prêtre Jean ou de la reine Candace.

Le choix était difficile ; elles se ressemblaient toutes, comme il arrive dans ces races primitives. Abd-el-Kérim, me voyant indécis et croyant qu’elles ne me plaisaient pas, en fit entrer une autre qui, d’un pas indolent, alla prendre place près du mur.

Je poussai un cri d’enthousiasme ; je venais de reconnaître l’œil en amande, la paupière oblique des Javanaises, dont j’ai vu des peintures en Hollande ; comme carnation, cette femme appartenait évidemment à la race jaune. Je ne sais quel goût

  1. Il est difficile de rendre ou de traduire le sens de cette observation.