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LES FEMMES DU CAIRE.

la crainte de rester trop longtemps sans en trouver… Voilà qui parle, certes, en faveur du caractère des musulmans. Comparez à cela le sort des esclaves dans les pays américains ! Il est vrai qu’en Égypte, c’est le fellah seul qui travaille à la terre. On ménage les forces de l’esclave, qui coûte cher, et on ne l’occupe guère qu’à des services domestiques. Voilà l’immense différence qui existe entre l’esclave des pays turcs et celui des pays chrétiens. Et, d’ailleurs, qui empêcherait les esclaves trop maltraités de fuir dans le désert et de gagner la Syrie ? Au contraire, nos possessions à esclaves sont des îles ou des pays bien gardés aux frontières. Quel droit avons-nous donc, au nom de nos idées religieuses ou philosophiques, de flétrir l’esclavage musulman !


XIII — LA JAVANAISE


Ab-el-Kérim nous avait quittés un instant pour répondre aux acheteurs turcs ; il revint à moi, et me dit qu’on était en train de faire habiller les Abyssiniennes qu’il voulait montrer.

— Elles sont ; dit-il, dans mon harem et traitées tout à fait comme les personnes de ma famille ; mes femmes les font manger avec elles. En attendant, si vous voulez en voir de très-jeunes, on va en amener.

On ouvrit une porte, et une douzaine de petites filles cuivrées se précipitèrent dans la cour comme des enfants en récréation. On les laissa jouer sous la cage de l’escalier avec les canards et les pintades, qui se baignaient dans la vasque d’une fontaine sculptée, reste de la splendeur évanouie de l’okel.

Je contemplais ces jeunes filles aux yeux si grands et si noirs, vêtues comme de petites sultanes, sans doute arrachées à leurs mères pour satisfaire la débauche des riches habitants de la ville. Abdallah me dit que plusieurs d’entre elles n’appartenaient pas au marchand, et étaient mises en vente pour le compte de leurs parents, qui faisaient exprès le voyage du Caire, et croyaient préparer ainsi à leurs enfants la condition la plus heureuse.