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VOYAGE EN ORIENT.

noncée de goudron, qui, selon lui, en prouvait l’authenticité. Il faut quelque temps pour se faire à ce raffinement hellénique, nécessaire sans doute à la conservation du véritable malvoisie, du vin de commanderie ou du vin de Ténédos.

Je trouvai dans le cours de l’entretien un moment pour exposer ma situation domestique ; je racontai l’histoire de mes mariages manqués, de mes aventures modestes.

— Je n’ai aucunement l’idée, ajoutai-je, de faire ici le séducteur. Je viens au Caire pour travailler, pour étudier la ville, pour en interroger les souvenirs, et voilà qu’il est impossible d’y vivre à moins de soixante piastres par jour ; ce qui, je l’avoue, dérange mes prévisions.

— Vous comprenez, me dit le consul, que, dans une ville où les étrangers ne passent qu’à de certains mois de l’année, sur la route des Indes, où se croisent les lords et les nababs, les trois ou quatre hôtels qui existent s’entendent facilement pour élever les prix et éteindre toute concurrence.

— Sans doute ; aussi ai-je loué une maison pour quelques mois.

— C’est le plus sage.

— Eh bien, maintenant on veut me mettre dehors, sous prétexte que je n’ai pas de femme.

— On en a le droit : M. Clot-Bey a enregistré ce détail dans son livre. M. William Lane, le consul anglais, raconte dans le sien qu’il a été soumis lui-même à cette nécessité. Bien plus, lisez l’ouvrage de Maillet, le consul général de Louis XIV, vous verrez qu’il en était de même de son temps ; il faut vous marier.

— J’y ai renoncé. La dernière femme qu’on m’a proposée m’a gâté les autres, et, malheureusement, je n’avais pas assez en mariage pour elle.

— C’est différent.

— Mais les esclaves sont beaucoup moins coûteuses : mon drogman m’a conseillé d’en acheter une, et de l’établir dans mon domicile.

— C’est une bonne idée.