Page:Nerval - Voyage en Orient, I, Lévy, 1884.djvu/103

Cette page a été validée par deux contributeurs.
91
LES FEMMES DU CAIRE.

Je commençais à causer avec le juif, qui me développait ses idées sur la culture des mûriers et l’élève des vers à soie, lorsqu’on frappa à la porte. C’était le vieux cheik qui ramenait ses ouvriers. Il me fit dire que je le compromettais dans sa place, que je reconnaissais mal sa complaisance de m’avoir loué sa maison. Il ajouta que la khanoun était furieuse surtout de ce que j’avais jeté dans son jardin les claies posées sur ma terrasse, et qu’elle pourrait bien se plaindre au cadi.

J’entrevis une série de désagréments, et je tâchai de m’excuser sur mon ignorance des usages, l’assurant que je n’avais rien vu ni pu voir chez cette dame, ayant la vue très-basse…

— Vous comprenez, me dit-il encore, combien l’on craint ici qu’un œil indiscret ne pénètre dans l’intérieur des jardins et des cours, puisque l’on choisit toujours des vieillards aveugles pour annoncer la prière du haut des minarets.

— Je savais cela, lui dis-je.

— Il conviendrait, ajouta-t-il, que votre femme fît une visite à la khanoun, et lui portât quelque présent, un mouchoir, une bagatelle.

— Mais vous savez, repris-je embarrassé, que, jusqu’ici…

Machallah ! s’écria-t-il en se frappant la tête, je n’y songeais plus ! Ah ! quelle fatalité d’avoir des frenguis dans ce quartier ! Je vous avais donné huit jours pour suivre la loi. Fussiez-vous musulman, un homme qui n’a pas de femme ne peut habiter qu’à l’okel (khan ou caravansérail) ; vous ne pouvez rester ici.

Je le calmai de mon mieux ; je lui représentai que j’avais encore deux jours sur ceux qu’il m’avait accordés ; au fond, je voulais gagner du temps et m’assurer s’il n’y avait pas dans tout cela quelque supercherie tendante à obtenir une somme en sus de mon loyer payé à l’avance. Aussi pris-je, après le départ du cheik, la résolution d’aller trouver le consul de France.