Page:Nerval - Les Filles du feu.djvu/65

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
37
ANGÉLIQUE

J’ai appris que la poste de Senlis avait mis dix-sept heures pour vous transmettre une lettre qui, en trois heures, pouvait être rendue à Paris. Je pense que cela ne tient pas à ce que je sois mal vu dans ce pays, où j’ai été élevé ; mais voici un détail curieux.

Il y a quelques semaines, je commençais déjà à faire le plan du travail que vous voulez bien publier, et je faisais quelques recherches préparatoires sur les Bucquoy, — dont le nom a toujours résonné dans mon esprit comme un souvenir d’enfance. Je me trouvais à Senlis avec un ami, un ami breton, très-grand et à la barbe noire. Arrivés de bonne heure par le chemin de fer, qui s’arrête à Saint-Maixent, et ensuite par un omnibus, qui traverse les bois, en suivant la vieille route de Flandre, — nous eûmes l’imprudence d’entrer au café le plus apparent de la ville, pour nous y réconforter.

Ce café était plein de gendarmes, dans l’état gracieux qui, après le service, leur permet de prendre quelques divertissements. Les uns jouaient aux dominos, les autres au billard.

Ces militaires s’étonnèrent sans doute de nos façons et de nos barbes parisiennes. Mais ils n’en manifestèrent rien ce soir-là.

Le lendemain, nous déjeunions à l’hôtel excellent de la Truite qui file (je vous prie de croire que je n’invente rien), lorsqu’un brigadier vint nous demander très-poliment nos passeports.

Pardon de ces minces détails, — mais cela peut intéresser tout le monde…

Nous lui répondîmes à la manière dont un certain soldat répondit à la maréchaussée, — selon une chanson de ce