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chambre. A propos, ces messieurs m’ont beaucoup parlé des curiosités du fort. Ne pourriez-vous pas m’y conduire demain ?

— Mais sans doute, mon ami.

— Alors demain matin je vous éveillerai.

Desroches soupira, puis il alla prendre possession du second lit qu’on avait préparé dans la chambre où son beau-frère venait de monter (car Desroches couchait seul, n’étant mari qu’au civil). Wilhelm ne put dormir de la nuit, et tantôt il pleurait en silence, tantôt il dévorait de regards furieux le dormeur qui souriait dans ses songes.

Ce qu’on appelle le pressentiment ressemble fort au poisson précurseur qui avertit les cétacés immenses et presque aveugles que là pointille une roche tranchante, ou qu’ici est un fond de sable. Nous marchons dans la vie si machinalement que certains caractères, dont l’habitude est insouciante, iraient se heurter ou se briser sans avoir pu se souvenir de Dieu, s’il ne paraissait un peu de limon à la surface de leur bonheur. Les uns s’assombrissent au vol du corbeau, les autres sans motifs, d’autres, en s’éveillant, restent soucieux sur leur séant, parce qu’ils ont fait un rêve sinistre. Tout cela est pressentiment. Vous allez courir un danger, dit le rêve ; prenez garde, crie le corbeau ; soyez triste, murmure le cerveau qui s’allourdit.

Desroches, vers la fin de la nuit, eut un songe étrange. Il se trouvait au fond d’un souterrain, derrière lui marchait une ombre blanche dont les vêtements frôlaient ses talons ; quand il se retournait, l’ombre reculait ; elle finit par s’éloigner à une telle distance que Desroches ne distinguait plus qu’un point blanc, ce point grandit, devint lumineux, emplit toute la grotte et s’éteignit. Un léger bruit se faisait entendre,