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Mais c’est vous-même qui avez poussé si loin les choses, qu’il faut, à tout prix, que je me justifie ou que je passe pour un lâche. Oui, tel est le motif qui, dans ma conscience, légitime le soin que j’ai mis à profiter d’une infirmité réelle, sans doute, mais qui peut-être n’eût pas dû arrêter un homme de cœur. Oui, je l’avouerai, je ne me sens point de haine contre les peuples que vous combattez aujourd’hui. Je songe que si le malheur eût voulu que je fusse obligé de marcher contre eux, j’aurais dû, moi aussi, ravager des campagnes allemandes, brûler des villes, égorger des compatriotes ou d’anciens compatriotes, si vous aimez mieux, et frapper, au milieu d’un groupe de prétendus ennemis, oui, frapper, qui sait ? des parents, d’anciens amis de mon père… Allons, allons, vous voyez bien qu’il vaut mieux pour moi écrire des rôles chez le notaire d’Haguenau… D’ailleurs, il y a assez de sang versé dans ma famille ; mon père a répandu le sien jusqu’à la dernière goutte, voyez-vous, et moi…

— Votre père était soldat ? interrompit le capitaine Vallier.

— Mon père était sergent dans l’armée prussienne, et il a défendu longtemps ce territoire que vous occupez aujourd’hui. Enfin, il fut tué à la dernière attaque du fort de Bitche.

Tout le monde était fort attentif à ces dernières paroles de Wilhelm, qui arrêtèrent l’envie qu’on avait, quelques minutes auparavant, de rétorquer ses paradoxes touchant le cas particulier de sa nationalité.

— C’était donc en 93 ?

— En 93, le 17 novembre, mon père était parti la veille de Sirmasen pour rejoindre sa compagnie. Je sais