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ici, la vie est fatigante et monotone, autant vaudrait être sur un vaisseau, que de vivre, ainsi sans combats, sans distractions, sans avancement possible. Le fort est imprenable, a dit Bonaparte quand il a passé ici en rejoignant l’armée d’Allemagne, nous n’avons donc rien que la chance de mourir d’ennui.

— Hélas ! mes amis, répondit Desroches, ce n’était guère plus amusant de mon temps ; car j’ai été ici comme vous, et je me suis plaint comme vous aussi. Moi soldat parvenu jusqu’à l’épaulette à force d’user les souliers du gouvernement dans tous les chemins du monde, je ne savais guère alors, que trois choses : l’exercice, la direction du vent et la grammaire, comme on l’apprend chez le magister. Aussi, lorsque je fus nommé sous-lieutenant et envoyé à Bitche avec le 2e bataillon du Cher, je regardais ce séjour comme une excellente occasion d’études sérieuses et suivies. Dans cette pensée, je m’étais procuré une collection de livres, de cartes et de plans. J’ai étudié la théorie et appris l’allemand sans étude, car dans ce pays français et bon français, on ne parle que cette langue. De sorte que ce temps, si long pour vous qui n’avez plus tant à apprendre, je le trouvais court et insuffisant, et quand la nuit venait, je me réfugiais dans un petit cabinet de pierre sous la vis du grand escalier ; j’allumais ma lampe en calfeutrant hermétiquement les meurtrières, et je travaillais ; une de ces nuits-là…

Ici Desroches s’arrêta un instant, passa la main sur ses yeux, vida son verre, et reprit son récit sans terminer sa phrase.

— Vous connaissez tous, dit-il, ce petit sentier qui monte de la plaine ici, et que l’on a rendu tout à fait impraticable,