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sous lequel ployait son épaule. Vous devez avoir entendu dire qu’on obtint du capitaine l’autorisation de le lui rogner de six pouces. Ainsi accommodée à ses forces, l’arme de l’enfant fit merveille dans les guerres de Flandre ; plus tard, Desroches fut dirigé sur Haguenau, dans ce pays où nous faisions, c’est-à-dire où vous faisiez la guerre depuis si longtemps.

A l’époque dont je vais vous parler, Desroches était dans la force de l’âge et servait d’enseigne au régiment bien plus que le numéro d’ordre et le drapeau, car il avait à peu près seul survécu à deux renouvellements, et il venait enfin d’être nommé lieutenant quand, à Bergheim, il y a vingt-sept mois, en commandant une charge à la baïonnette, il reçut un coup de sabre prussien tout au travers de la figure. La blessure était affreuse ; les chirurgiens de l’ambulance, qui l’avaient souvent plaisanté, lui vierge encore d’une égratignure, après trente combats, froncèrent le sourcil quand on l’apporta devant eux. S’il guérissait, dirent-ils, le malheureux deviendra imbécile ou fou.

C’est à Metz que le lieutenant fut envoyé pour se guérir. La civière avait fait plusieurs lieues sans qu’il s’en aperçût ; installé dans un bon lit et entouré de soins, il lui fallut cinq ou six mois pour arriver à se mettre sur son séant, et cent jours encore pour ouvrir un oeil et distinguer les objets. On lui commanda bientôt les fortifiants, le soleil, puis le mouvement, enfin la promenade, et un matin, soutenu par deux camarades, il s’achemina tout vacillant, tout étourdi, vers le quai Saint-Vincent, qui touche presque à l’hôpital militaire, et là, on le fit asseoir sur l’esplanade, au soleil du midi, sous les tilleuls du jardin