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de toutes nos affaires de coulisse ; ces femmes dont plusieurs m’auraient aimé si j’avais voulu trahir mon seul amour ! ces hommes tous jaloux de moi à cause d’elle ; et l’autre, le Britannicus bien choisi, le pauvre soupirant confus, qui tremblait devant moi et devant elle, mais qui devait me vaincre à ce jeu terrible, où le dernier venu a tout l’avantage et toute la gloire… Ah ! le débutant d’amour savait son métier… mais il n’avait rien à craindre, car je suis trop juste pour faire un crime à quelqu’un d’aimer comme moi, et c’est en quoi je m’éloigne du monstre idéal rêvé par le poëte Racine : je ferais brûler Rome sans hésiter, mais en sauvant Junie, je sauverais aussi mon frère Britannicus.

Oui, mon frère, oui, pauvre enfant comme moi de l’art et de la fantaisie, tu l’as conquise, tu l’as méritée en me la disputant seulement. Le ciel me garde d’abuser de mon âge, de ma force et de cette humeur altière que la santé m’a rendue, pour attaquer son choix ou son caprice à elle, la toute-puissante, l’équitable, la divinité de mes rêves comme de ma vie !… Seulement j’avais craint longtemps que mon malheur ne te profitât en rien, et que les beaux galants de la ville ne nous enlevassent à tous ce qui n’est perdu que pour moi.

La lettre que je viens de recevoir de La Caverne