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tenant d’une main leurs carabines et de l’autre la bride de leurs chevaux, juraient de venger dignement l’enlèvement de la nouvelle Hélène.

Il n’était pas rare, en ce temps, que les colons des Etats-Unis eussent à poursuivre des Indiens pour un semblable motif ; mais pendant que Toffel et ses vaillants compagnons sont occupés à retrouver les traces des peaux rouges qui avaient enlevé Jemmy Boerenhenter, nous allons, nous conformant encore plus directement aux usages chevaleresques, rejoindre notre dame, pour lui prêter au besoin aide et secours.

Donc, Jemmy, l’entêtée Jemmy, avait été seule en avant de quelques centaines de pas, ainsi que nous l’avons déjà dit. C’était d’abord une chose qu’une femme raisonnable n’aurait jamais faite : elle se serait tenue à côté de son mari, d’un aussi bon mari surtout que l’était incontestablement Toffel, notamment dans des temps si critiques, où les sauvages parcouraient encore en partisans tout l’Etat d’Ohio, et s’avançaient même jusqu’au fort Pitt, attendu que, précisément à cette époque, les Etats-Unis étaient engagés avec eux dans une guerre sanglante. Sans doute elle cria vaillamment, mais il était trop tard ; probablement les Indiens en avaient déjà trop vu pour renoncer, en faveur de ses cris, à une si belle proie. L’un monta sur le cheval gris et la prit en croupe, pendant qu’un second obligeait la belle à enlacer ses bras autour de son cavalier ; un troisième, lui voyant des dispositions à résister, établit entre son cou de cygne et un coutelas qu’il tira de sa ceinture un voisinage dangereux, si bien que la pauvre créature se résigna a son sort, et ne songea plus qu’à ne pas se laisser tomber de cheval pendant la longue course qui s’ensuivit.