Page:Nerval - Les Filles du feu.djvu/209

Cette page n’a pas encore été corrigée

Jusqu’ici tout était bien, et Toffel n’y trouvait guère à redire ; toutefois, en sellant ses deux chevaux, il éprouva une sorte de malaise, et comme un pressentiment fâcheux lorsqu’il s’occupa de son grand cheval gris. Mistress Toffel avait conçu pour cet animal une telle prédilection, qu’elle avait déclaré n’en pas vouloir monter d’autre. A la vérité, comparés au grand cheval entier de Toffel, les autres n’étaient que des chats ; mais Jemmy n’était pas une géante, et les petits chevaux lui eussent convenu mieux toujours qu’à son mari. Celui-ci était, depuis peu, devenu ambitieux, et aspirait aux emplois publics ; et il fallait qu’il arrivât disgracieusement sur une de ses rosses, en s’exposant aux railleries et aux suppositions de la foule ! En tirant les chevaux de l’écurie, il vit précisément sa femme sur le seuil de la maison ; mais sur son front était écrite cette inflexible résolution à laquelle le pauvre homme n’avait guère l’usage de résister. Il la laissa donc monter sur un tronc d’arbre, d’où elle s’élança sur le gris pommelé, dont elle saisit la bride avec grâce et autorité.

La voilà sur cet animal immense, semblable à un malicieux baboin qui s’apprête à mettre à l’épreuve la mansuétude d’un patient dromadaire. Toffel la regardait la bouche ouverte et les yeux fixes.

— Ma chère ! dit-il après un long combat intérieur, je vous en prie, prenez le petit cheval, et me laissez le plus grand.

— Toffel, s’écria sa moitié, sûrement vous n’êtes pas assez fou pour songer à cela précisément en ce moment.

— Si, je suis assez fou pour cela, et si je prends ce veau irlandais, je serai à la fois à pied et à cheval.

Ses paroles, ses regards étonnèrent la dame ; ils indiquaient