Page:Nerval - Les Filles du feu.djvu/180

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

même que la religieuse ; vous cherchez un drame, voilà tout, et le dénoûment vous échappe. Allez, je ne vous crois plus ! »

Cette parole fut un éclair. Ces enthousiasmes bizarres que j’avais ressentis si longtemps, ces rêves, ces pleurs, ces désespoirs et ces tendresses…, ce n’était donc pas l’amour ? Mais où donc est-il ?

Aurélie joua le soir à Senlis. Je crus m’apercevoir qu’elle avait un faible pour le régisseur, — le jeune premier ridé. Cet homme était d'un caractère excellent et lui avait rendu des services.

Aurélie m’a dit un jour : — Celui qui m’aime, le voilà !

XIV.Dernier Feuillet

Telles sont les chimères qui charment et égarent au matin de la vie. J’ai essayé de les fixer sans beaucoup d’ordre, mais bien des cœurs me comprendront. Les illusions tombent l’une après l’autre, comme les écorces d’un fruit, et le fruit, c’est l’expérience. Sa saveur est amère ; elle a pourtant quelque chose d’âcre qui fortifie, — qu’on me pardonne ce style vieilli. Rousseau dit que le spectacle de la nature console de tout. Je cherche parfois à retrouver mes bosquets de Clarens perdus au nord de Paris, dans les brumes. Tout cela est bien changé !

Ermenonville! pays où fleurissait encore l’idylle antique, — traduite une seconde fois d’après Gessner! tu as perdu ta seule étoile, qui chatoyait pour moi d’un double éclat. Tour à tour bleue et rose comme l’astre trompeur d’Aldebaran, c’était Adrienne ou Sylvie, — c’étaient les