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d’Este. — Et vous ! comme vous avez lu plus que moi ! dit Sylvie. Vous êtes donc un savant ? »

J’étais piqué de son ton de reproche. J’avais jusque-là cherché l’endroit convenable pour renouveler le moment d’expansion du matin ; mais que lui dire avec l’accompagnement d’un âne et d’un petit garçon très-éveillé, qui prenait plaisir à se rapprocher toujours pour entendre parler un Parisien ? Alors j’eus le malheur de raconter l’apparition de Châalis, restée dans mes souvenirs. Je menai Sylvie dans la salle même du château où j’avais entendu chanter Adrienne. — Oh ! que je vous entende ! lui dis-je ; que votre voix chérie résonne sous ces voûtes et en chasse l’esprit qui me tourmente, fût-il divin ou bien fatal ! — Elle répéta les paroles et le chant après moi :


Anges, descendez promptement
Au fond du purgatoire !…


— C’est bien triste ! me dit-elle.

— C’est sublime… Je crois que c’est du Porpora, avec des vers traduits au XVI° siècle.

— Je ne sais pas » répondit Sylvie.

Nous sommes revenus par la vallée, en suivant le chemin de Charlepont, que les paysans, peu étymologistes de leur nature, s’obstinent à appeler Châllepont. Sylvie, fatiguée de l’âne, s’appuyait sur mon bras. La route était déserte ; j’essayai de parler des choses que j’avais dans le cœur, mais, je ne sais pourquoi, je ne trouvais que des expressions vulgaires, ou bien tout à coup quelque phrase pompeuse de roman, — que Sylvie pouvait avoir lue. Je m’arrêtais alors avec un goût tout classique, et elle s’étonnait