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XI. — RETOUR.

La vue se découvrait au sortir du bois. Nous étions arrivés au bord des étangs de Châalis. Les galeries du cloître, la chapelle aux ogives élancées, la tour féodale et le petit château qui abrita les amours d’Henri IV et de Gabrielle se teignaient des rougeurs du soir sur le vert sombre de la forêt. — C’est un paysage de Walter Scott, n’est-ce pas ? disait Sylvie. — Et qui vous a parlé de Walter Scott ? lui dis-je. Vous avez donc bien lu depuis trois ans !… Moi, je tâche d’oublier les livres, et ce qui me charme, c’est de revoir avec vous cette vieille abbaye, où, tout petits enfants, nous nous cachions dans les ruines. Vous souvenez-vous, Sylvie, de la peur que vous aviez quand le gardien nous racontait l’histoire des moines rouges ? — Oh ! ne m’en parlez pas. — Alors chantez-moi la chanson de la belle fille enlevée au jardin de son père, sous le rosier blanc. — On ne chante plus cela. — Seriez-vous devenue musicienne ? — Un peu. — Sylvie, Sylvie, je suis sûr que vous chantez des airs d’opéra ! — Pourquoi vous plaindre ? — Parce que j’aimais les vieux airs, et que vous ne saurez plus les chanter. »

Sylvie modula quelques sons d’un grand air d’opéra moderne… Elle phrasait !

Nous avions tourné les étangs voisins. Voici la verte pelouse, entourée de tilleuls et d’ormeaux, où nous avons dansé souvent ! J’eus l’amour-propre de définir les vieux murs carlovingiens et de déchiffrer les armoiries de la maison